Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Qu’est-ce qu’un métier ? 24/10/2019

Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
Qu’est-ce qu’un métier ? 24/10/2019

A mi-chemin entre réflexion de portée générale et introspection – ou au moins retour sur « mon histoire » – ce billet a pour ambition d’être une modeste contribution à la réflexion sur ce qui fait la « valeur », le « sens » d’une vie humaine. En indiquant une « orientation » pour une humanité plus « adulte ».

Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

Quand on fait une rencontre et qu’on est comme moi curieux, la question qui vient tout de suite est : que faîtes vous dans la vie ? La réponse la plus fréquente est la déclinaison de la profession, ou de l’entreprise où on l’exerce. Si notre curiosité est sincère, cette dernière réponse ne nous suffira pas, nous demanderons des précisions (ex. vous faîtes quoi chez Peugeot ?)
L’embêtant, arrivé à un certain âge, c’est que la question devient : qu’est-ce que vous faisiez dans la vie ? Je suis le premier à poser cette question, je suis très curieux -très fier de l’être-, mais elle comporte un passé qui est pourtant désobligeant. Une fois « à la retraite » on ne ferait donc plus rien ? Où bien on tombe dans une deuxième cliché : vous faites quoi de vos journées, sous-entendu non pas, que faites-vous d’utile, de valorisant pour vous même et pour la société (?), mais comment vous occupez-vous (?), comment faites vous pour « bien vieillir ».
Même problème si on pose la question à une femme « en âge de travailler » et que celle-ci vous répond « rien », ou je ne « travaille » plus depuis « l’arrivée » de notre/ma (l’emploi du pronom « ma » ne dit rien de la situation « matrimoniale ») deuxième fille. J’ai mis entre guillemets les mots qu’il faut interroger. À l’évidence la mère de famille qui reste à la maison « travaille », mais la grand-mère (moins souvent le grand-père, vous en conviendrez peut-être) qui garde les petits-enfants aussi, le grand-père qui a accepté des responsabilités dans une association (ou la grand-mère j’en conviens) .

Qu’est-ce qu’un métier ?

Mon choix « philosophique » est de penser que ce sont les activités exercées par chacun d’entre nous, qui nous définissent le mieux d’un point de vue objectif. Le pluriel s’impose, la situation quasi universelle de chacun est l’exercice de plusieurs activités concomitamment ou successivement. Le choix d’appeler ses activités, nos métiers, outre que ça permet d’ajouter à la liste ceux que nous avons ou pourrions exercer (fort utiles dans le cas des retraités, des femmes « au foyer », ou encore des chômeurs), permet de préciser que ces activités exigent des savoir-faire, des compétences et devraient relever de formations prévues. La liste des activités qui nous constituent ne se limite donc pas à celles exercées dans un cadre strictement « professionnel ». Une profession est un métier exercé dans un cadre légal et rémunéré de ce fait.

Dans mon précédent billet (11/10/2019) je citais comme métiers : « militant, amoureux, père de famille, intellectuel »…

Le/la militant·e politique ou associatif en fait parfois sa profession, à temps partiel ou complet, même quand ce n’est pas le cas il/elle exerce bien des savoirs faire, « c’est un métier de défendre, de proposer, de faire connaître, de gérer… » Même quand le militantisme se fait professionnel, il n’est pas pour autant régi par le seul cadre légal, il découle d’un engagement, de choix personnels, qui nécessitent une liberté de choix, de révocation, d’où la revendication d’un statut de l’élu·e, qu’il faudrait étendre en statut du/de la militant·e.

Qu’est-ce que c’est que ce métier d’intellectuel auquel je fais référence, hors des cursus universitaire, sans rémunération ? C’est pourtant celui auquel je tiens le plus, il est transversal à mon activité militante, mon activité professionnel et à ma retraite. Je suis un intellectuel lié à ma classe, celle des travailleurs, je me suis formé toute ma vie pour l’exercer du mieux possible, tout en voulant garder une activité professionnelle classique, en entreprise. J’ai refusé de devenir permanent, choix possible mais problématique, je n’ai pas cherché à trouver un emploi en dehors de l’institution où j’ai milité pendant près de 40 ans (la Sécu). Ma formation d’agent de direction, assimilé à un bac +7 a été rendue possible du fait de ma formation intellectuelle continue dans le cadre du militantisme. L’intellectuel organique, n’est pas forcément un responsable, même si le responsable se devrait lui de l’être un maximum. Il est vital que les organisations des travailleurs, plus largement des dominés, aient en leur sein des intellectuels exerçant leur fonction critique naturelle, sans trop de limites et avec une reconnaissance de leur place, leur utilité. C’est pas gagné ! Je crois que ça explique pour partie le manque d’attractivité de nos partis et organisations.

Pour parler du métier du père de famille, métier très récemment apparu, il me faut passer par le discours sur celui de « mère de famille ». Le « métier » défini comme ci-dessus, rien n’est plus un métier que celui de mère de famille, la petite fille est formée pour l’exercer dès sa petite enfance (encore aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas) et il ne viendrait à personne l’idée de nier les compétences requises pour être une « bonne mère de famille »
Jusqu’à très récemment être père de famille se limitait à l’exercice de l’autorité, l’obligation de subvenir aux besoins et accessoirement d’accorder de  » l’attention » aux autres membres de la famille. Avec l’évolution du débat sur la libération des femmes et l’égalité devant les charges et responsabilités, on a vu apparaître de nouveaux rôles pour les pères de famille. Je voulais être un père de famille responsable, j’avais un fort désir d’enfants, je voulais m’occuper de mes enfants. Pour la toute petite et petite enfance, je fus je crois un papa partageant toutes les tâches et affectueux vis à vis de mes 5 enfants « naturels », j’y pris beaucoup de plaisir. La non maîtrise de ma vie amoureuse fît, plus ou moins tôt, de moi un papa trop absent. J’ai essayé d’être un bon père pour trois autres enfants, les accompagnant jusqu’à l’âge adulte.

Parler du fait, ou du choix, d’être amoureux comme d’un métier peut, à juste titre, faire scandale. Contrairement aux autres activités citées, elle ne doit pas être rémunérée, sinon ce n’est plus de l’amour, mais de la prostitution, activité qu’il faut chercher à faire disparaître, le corps ne doit plus être une marchandise. Pourtant aimer une autre personne, au sens à la fois fort, sentimental et physique nécessite des savoirs, des compétences. Dans mes errements amoureux, je peux identifier après coup tout ce qui relève de ma complaisance avec la domination patriarcale, d’acceptation de mes privilèges et de la part de soumission de mes compagnes dont j’ai voulu faire des épouses. Par contre il est d’autres causes identifiables et qui ont partie liée avec cette domination. À commencer par l’ignorance totale du corps des femmes, de leurs désirs, de leur sexualité. L’apprentissage « sur le tas » n’est pas la bonne méthode pour tous les métiers, encore moins pour apprendre « à faire l’amour ». Dans ce cas l’expression peut paraître grossière, mais dans cette grossièreté même elle souligne le peu de respect pour les femmes que comporte ce vide éducatif qui perdure, puisque la soi-disant éducation-sexuelle, souvent absente, reste caricaturale. Dans son petit (par la taille) livre réversible « Sois belle suivi de Sois fort/Soit fort suivi de Sois belle » Nancy Huston fait des propositions que je trouve pertinente. À mon époque, c’était le vide absolu, je n’ai entendu parler « d’amour » que dans les cours de catéchisme. J’ai donc confondu aimer et faire des enfants. J’ai collé sur la reproduction du schéma familial, le schéma de l’Amour fou d’André Breton justifiant, au nom de cette recherche absolu mais surtout de l’extase physique, mes fuites et mes divorces. Ne pensez-vous pas qu’une société « humaniste » devrait donner à tous les adolescents un minimum de formation à la psychologie, ainsi qu’à l’égalité entre les sexes, donc aussi une formation non sexiste aux travaux domestiques.
Nous retiendrons qu’être « amoureux » n’est pas un métier, mais une activité qui plus encore qu’aucune autre nécessite formation et préparation.

L’émancipation humaine, l’avènement d’une humanité adulte passe par l’élévation du niveau de formation de tous les individus et à tous les âges : « parce qu’on ne naît pas humain, parce qu’on le devient ! » des premiers mots appris, jusqu’a la fin de sa vie.

Post-scriptum : la rédaction de ce billet fut très laborieuse, je voulais être précis, je ne voulais pas raconter ma vie dans un billet… chacun pourra aisément piocher dans sa propre vie pour prolonger la réflexion sur ces activités qui nous font être ce que nous sommes et les pré-requis pour mieux faire nos métiers, qui réunis font ce que j’appelle « notre métier d’humain ».