La, ou les, question(s) fondamentale(s) ? 3/10/2019

La, ou les, question(s) fondamentale(s) ? 3/10/2019

« Écrire, c’est une façon de parler… sans être interrompu » Jules Renard
Quand j’ai créé ce site, c’était d’abord pour mieux construire le discours, que comme tout un chacun, je tiens sur ma vie, sur la vie. La différence entre un site et un manuscrit, c’est qu’on le soumet au fur et à mesure à « des » lecteurs. L’idée n’était pas particulièrement de ne pas être interrompu, même si, ce site étant ma création, j’entendais resté maître de mon expression. J’en appelais donc dès le début aux contributions de mes lecteurs. Les aléas de ma vie ont beaucoup perturbé la construction de ce site, pour être honnête, les qualités et, surtout, manque de qualités de son auteur aussi. Je n’avais eu droit à ce jour qu’a des encouragements brefs, des critiques tout aussi brèves souvent accompagnées d’un claquement de porte (la plus choquante, j’en parle dans mon billet du 5/7/2018). Cette semaine un évènement s’est produit. Un ami de longue date, Jean-Marie Viprey (JMV), m’a adressé une critique argumentée de mon billet précédent. C’est donc avec plaisir que je la publie, avec ma réponse.

À propos des questions fondamentales – Intervention de Jean-Marie Viprey

C’est bizarre de reformuler une question fondamentale comme si c’était anodin : de « Pourquoi suis-je là ? » à « Qu’est-ce que je veux et peux faire là ? », il y a un gouffre ! Et pourquoi ne pas aller directement à la 2ème formule ? Pour accrocher ceux/celles qui se posent la 1ère ? Oui, mais en ce cas il faut justifier le chemin de l’une à l’autre… Y a-t-il besoin d’être « croyant » (what is it ?) pour se poser la question de « Qui m’a mis là ? » ???? Il suffit d’avoir des parents, une mère, un père, et d’avoir vécu l’angoisse d’exister ! Et de travailler à la généalogie, pas au sens bêta du terme, mais au sens : que voulaient de moi, ou à mon sujet, ces deux êtres qui se sont unis (dans mon cas, sans aucun doute pour avoir un, puis des enfants, jusqu’au 3ème du moins, autant que pour fusionner).
Opposer déterminisme et liberté a un sens. Il exprime l’angoisse fondatrice de l’humain. La liberté SURGIT dans l’homme main dans ma main avec l’HUMAIN. Il suffit, sans doute trop naïvement exprimé là, de comparer la façon dont l’homme est déterminé avec le déterminisme »animal ». C’est fascinant de regarder un chat, mais aussi un oiseau, puis une mouche, puis un puceron, puis un pied de courgettes… et surtout deux et plusieurs de chaque. Deux, trois, dix oiseaux dans un nuage d’oiseaux, dans une nichée de canards. C’est objet de mystère. Pourquoi ce caneton est-il en tête de la nichée derrière « maman » ? Pourquoi ce nuage d’oiseaux forme-t-il ce dessin ? Ce qui a du sens, là, me semble-t-il, est en effet de parler de déterminisme à 100 %, si justement on accepte de minorer ce « pourcentage », sans obsession d’exactitude, pour parler de l’être humain. Comment pourrait-on concilier « déterminisme à 100 % » avec « décision » ?
Qu’est-ce qu’une décision ? Le processus cognitif (ou son aboutissement) qui préside à un comportement jusqu’alors « possible » mais indifférent parmi des milliards d’autres (oui des milliards puisque même le caneton a des milliards de possibilités neuro-musculaires, des milliards de combinaisons d’angles, de vitesse, etc à sa disposition) ? Mon pied de courgettes « décide »-t-il de lancer un tentacule vers cette branche ou cette autre du prunier quelques centimètres au-dessus de lui, ce qui va déterminer toute la suite de son « existence » ? Non, sans aucun doute, sauf à vider le mot « décision » de tout son sens distinctif (vs instinct, impulsion – après en avoir eu l’impulsion, j’ai décidé de ne pas mettre ma main sur sa joue).

C’est ici que s’exprime la hantise du dualisme. Les versions corrompues du dualisme l’ont discrédité, à nos dépens, au dépens de toute approche vraie de la condition humaine. N’y peuvent RIEN, mais rien de rien, les prétendus « progrès des ‘sciences' ». « Libre arbitre » est un mot plutôt obsolète. Un débat étrange et daté. Et « ou presque » est INTERDIT. C’est comme le mot « quite » en anglais qui veut dire soit « tout-à-fait » soit « quasiment » est qui est bien pratique pour le flou philosophique. La seule exception à la liberté (et d’ailleurs c’est amusant à ce titre d’entendre les mystiques superficiels nous dire « ah ce n’est pas un hasard si T. est « tombée » chez vous, voire « ce rocher qui lui est tombé dessus, c’est l’expression de son désir – inconscient bien sûr -d’en finir), c’est en effet le hasard, et c’est une sacrée exception ! Mais le hasard est l’objet d’une SCIENCE, lui aussi, trop ignorée ou méprisée.

« Qu’est-ce que j’ai envie de, désire, souhaite faire ? », c’est encore une autre question, surtout avec le mot « envie » qui mériterait un volume entier de réflexion. Non ? J’ai « envie », et en fait si j’y pense vraiment j’ai l’IMPULSION de poser ma main sur la joue de M en face de moi dans un dialogue vrai. Alors oui, il y a une affirmation sous-jacente : « JE suis là », mais n’est-ce pas plutôt « Je EST là »? Quant à « là et pas ailleurs », ouh là là ! Mais si, JE suis AILLEURS, je EST ailleurs. Je traverse et subis et tente de maîtriser dix, cent, mille situations EN MÊME TEMPS. Et JE n’en EST pas « responsable » ! Simulacre ! Illusion, et source de mille souffrances de fausses culpabilités.

Nous ne sommes donc aucunement « maître » de notre vie ! Et la tentative de nous instituer tels est vouée à un lamentable échec, que je connais bien. Le « maître » de notre vie, peut être le hasard de la nature (un séisme), des technologies (un naufrage), des rencontres (ici, là…), mais le maître de notre vie que nous pouvons influencer, toujours en dialogue, ce n’est pas « MOI », c’est « NOUS ». Surtout dans la perspective de la qualité du monde à vivre et à venir.

J’adopte rarement le ton « péremptoire », mais j’ai tenu ici à écarter au maximum la tentation de « modaliser » le discours par des « peut-être » et des « presque » et des conditionnels. Comme il convient ce me semble dans un dialogue VRAI.

Une seule question fondamentale ? – Ma réponse.
Il n’y avait pour moi nul glissement d’une question à une autre, puis une autre… encore moins ruse pour attirer certains de mes lecteurs vers la question qui m’importe. J’avais la volonté claire d’affirmer que pour les humains, pour fonder un monde humain, il y a « une question fondamentale ». Le point de départ de mon billet fut le dessin, que je n’ai pas mis là seulement pour illustrer. Ce dessin m’a interpelé par ses deux particularités. Il n’est pas indiqué comme de coutume : « vous êtes ici », mais « pourquoi êtes vous là ? » Au sens propre, la question interpelle, m’oblige à me questionner. Le panneau au-dessus du plan donne un contexte à ce questionnement, implique de ne pas en rester aux explications par les circonstances.
Le passage par d’autres questions, ne se fait pas par glissement, mais par nécessité de « clarifier l’énoncé » du problème (comme me l’ont appris mes professeurs). Pourquoi, en français, a une double signification : à cause de, dans l’intention de. Elles ne sont pas contradictoires nécessairement, l’intention peut entrer dans les causes. Mais il est une différence qualitative entre les deux. Avec l’intention advient une dimension proprement humaine. Et l’intention animale ? Je préfère l’appeler instinct et il est peu probable qu’un animal s’arrête devant un plan (cf Marx différenciant l’architecte de l’abeille par l’existence du « plan »). Quant à l’intention de la courgette ? Je laisse mon ami à ses interrogations « bizarres ». La double signification du pourquoi peut effectivement s’élucider au moyen de deux questions : Qui m’a mis là ? ou, Qu’est-ce que je veux faire là ? Mon ami a raison la première question n’est pas réservée aux croyants, d’ailleurs effectivement qu’est-ce qu’un croyant ? Différence entre croyance et foi, et celui qui en reste aux questions… enfin la question des « plans » de mes parents et autres ancêtres. Toutes questions légitimes, mais que chacun peut choisir de se poser où pas, sans que cela change rien à son humanité.

Je crois (où l’on retrouve la question de la foi, de l’espérance), par contre, que l’humain qui ne s’interroge pas sur ce qu’il peut faire, accepte le statut de « chose ». Oui, la liberté surgit, avec la conscience « cet être dans lequel il est question de son être » comme dit Sartre. La formule a été moquée, pourtant il suffit de la lire doucement, attentivement, elle est limpide. De là viennent toutes les questions, l’anxiété est bien constitutive de la « réalité », de la « nature » humaine. Mais elle ne fonde rien, elle surgit, pas n’importe où, pas n’importe quand, au milieu de l’histoire du petit humain, de l’histoire de toute l’humanité qui l’a précédée. Très vite, parce que ses ancêtres ont construit un monde, il ou elle va être outillé·e pour se poser les questions qui feront de lui un individu, qui à son tour pourra se projeter avec les autres pour re travailler ce monde.

Nul opposition n’est possible entre le je et le nous, entre individu et société. Oui il y a des progrès des sciences, des sciences humaines aussi. Bourdieu après Marx, Norbert Elias après Marx et Freud, et bien d’autres ont ouvert la possibilité d’une compréhension élargie des déterminants qui pèsent sur les humains. Cette meilleure compréhension ouvrant de nouvelles possibilités à la liberté humaine. Et il nous faut bien tout l’outillage qu’ils nous fournissent pour combattre l’idéologie du libre arbitre qui n’a rien d’obsolète pour les défenseurs de la société capitaliste/libérale.

Deux idées pour une conclusion provisoire, le texte de JMV est si foisonnant, qu’il est bien difficile d’en épuiser la richesse :

Qu’en est-il de la formule « 100% déterminé » ? Je la maintiens et elle n’est pas contradictoire avec l’affirmation de la liberté, chaque humain vient ajouter son/ses projets qui s’ajoutent dans les causes du monde tel qu’il devient. Le problème est bien que cette liberté de l’individu, rencontre celle de l’autre, ainsi que la sienne propre « parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait »… … et que les nous se constituent et se défont avec l’histoire humaine se cherchant. Est-ce une raison pour abandonner ? Non, une motivation, en comprenant que « la vie commence » à chaque naissance, pour bien faire « notre métier d’humain ». Une amie m’a envoyé une belle réflexion sur ce sujet, si elle m’y autorise je la publierais.

Oh, combien est juste la remarque de JMV sur le « Je EST là » Cette conjugaison à la troisième personne matérialise le fait que mon Je m’échappe de toute part, se fait et se défait en permanence. Encore un conseil de lecture, dans « L’invention de soi », Jean-Claude Kaufmann parle à merveille de toutes nos identités et de la manière dont elles nous constituent. Salutaire en ces temps où tente de s’imposer une idéologie des identités uniques, une idéologie « identitaire ».

Une dernière incitation à la réflexion, avec Dany-Robert Dufour. Je vous invite à ne pas confondre individualisme et égoïsme. La possibilité d’exister comme individu est le plus grand progrès de l’humanité. Mon communisme, avec Marx est un individualisme, il a comme perspective « le libre développement de chacun », l’individu est la finalité, pas je ne sais quelle collectivité.

À suivre.
Mais la semaine prochaine je veux vous reparler du Revenu Minimum U… nique.