Sur la domination masculine

SUR LA DOMINATION MASCULINE

Ce que je veux poser ici n’est que le schéma, le cadre dans lequel je pense aujourd’hui cette question. Rien que cela, mais déjà cela, tout cela.

(mettre ensemble) SYN-THÈSE

Penser le féminisme, le mouvement et la théorie de l’émancipation des femmes, nécessite de faire préalablement le point historique sur les grands systèmes de domination et de prendre acte de leur interdépendance. En négligeant les réalités particulières et autres survivances d’un passé aujourd’hui révolu ou prémices d’un avenir non advenu, les divisions humaines peuvent être analysées en trois grands systèmes :
– l’opposition entre les classes qui s’organise principalement dans le cadre des nations, où elle trouve son cadre politique. Elle structure l’exploitation des travailleuses et travailleurs (salarié·e·s).
– à l’échelle internationale s’opposent, hier et encore aujourd’hui, le nord et le sud ou plutôt l’occident et le reste du monde. Aujourd’hui et demain les pays impérialistes et les pays dominés avec la fin de l’hégémonie des USA et des pays occidentaux. En marge des guerres et mouvement migratoires, ce système produit le racisme qui permet la sur-exploitation des travailleurs « racisés » . La raison économique d’un côté, les questions écologiques et sanitaires de l’autre, promeuvent le développement d’un Etat-monde aujourd’hui en gestation. Il sera plus encore que l’État-nation le lieu de la confrontation entre les classes.
– le système patriarcal dans le cadre de l’ordre familial organise depuis des millénaires la dominations des hommes sur les femmes et les enfants. Elle permet leur exploitation dans le cadre domestique et leur sur-exploitation dans le cadre du marché du travail capitaliste.
Ces trois grands systèmes sont totalement imbriqués et interdépendants.

(poser) THÈSES

1- Patriarcat et domination masculine sont synonymes. Nommer le patriarcat a l’avantage de désigner clairement un système d’ensemble et un long passé. Choisir d’écrire sur la domination masculine permet de ne pas figer dans le passé la réalité de ce système et d’en décrire plus librement l’actualité, à commencer par la disparition de la figure du patriarche dans la modernité de cette domination, notamment dans les pays occidentaux, ou les frères ont pris le relais des pères.

2- La terrible réalité de la domination masculine, même dans notre pays, ne se laisse pas facilement saisir. Les théoriciennes de cette domination, plus encore les activistes, doivent faire preuve de ténacité et d’imagination pour la faire percevoir. Il faut en aligner des statistiques, des images chocs ou des actions spectaculaires pour rendre visible l’exploitation, l’oppression, la brutalisation des femmes.

3- Bien-sûr la vague féministe des années 70 dans les faits, puis sa transcription juridique dans les texte n’est pas rester sans effet pour de nombreuses femmes et on peut parler à juste titre d’une première révolution victorieuse. Mais ce que les jeunes femmes, les intellectuelles et même toutes les femmes ont gagné en nouvelles possibilités, en nouveaux droits, n’a pas mis fin aux huis clos familiaux, à la jungle de certaines rues ou quartiers la nuit, à la prostitution et aux bordels, aux harcèlements sexuels dans le cadre du travail, aux courses d’obstacles pour choisir sa vie, son métier, sa liberté.

4- La domination masculine n’est pas inscrite dans une nature humaine introuvable. Comme tout ce qui est humain elle est le produit d’une histoire, elle est culture. L’humain est l’animal qui bâtit le monde où il vit.

5- Ce n’est pas la famille qui fait l’ordre familial, ce sont les structures politiques et religieuses qui font, fondent les normes de vie de chacun et chacune. Mais c’est dans l’institution familiale qu’aujourd’hui encore se perpétue la soumission à l’ordre établi.

6- Le maintien de l’exploitation des femmes par le biais du travail domestique, de la charge de la « reproduction » (au sens large entretien des enfants, de la santé et du repos des hommes) et du service sexuel dans le cadre de la famille permet de parler des femmes en tant que classe exploitée. Il faut en finir avec la fiction du classement par catégories socio-professionnelles qui « rangent » les femmes en fonction de la profession du conjoint. La femme du grand patron qui est cantonnée dans la sphère domestique demeure exploitée par celui-ci, « même quand elle ne fait rien, elle produit un travail pour son conjoint » (exemple repris de Christine Delphy, que je trouve convainquant).

7- Le maintien de l’exploitation dans le cadre familial rend un service « inestimable » au Capital. Non seulement la famille assure ainsi le renouvellement et l’entretien de la force de travail masculine et féminine. Mais les apprentissages des femmes dans le cadre de la famille fournissent aussi une main d’oeuvre féminine qualifiée qu’on peut sous-payer, notamment par le biais du travail partiel, de la précarisation et de la dépréciation des travaux dit féminins. Précarisées, les femmes sont aptes à tenir des emplois indispensables (à la mise en valeur du capital) du nettoyage à la pornographie, en passant par tous les métiers du « care ».

(mettre à/de côté) PAREN(T)- THÈSE

La grande révolution française, les lumières européennes ont porté le choix de la ségrégation de la moitié des humains par la sexualisation des rôles et la défense de la famille,  institution patriarcale. De la bien nommée Déclaration des droits de l’Homme au code Napoléon, il y a continuité sur la question de l’absence de droits pour les femmes, de leur exclusion de l’ambition démocratique. Le soi-disant suffrage universel, de fait masculin, de 1848 sonne comme un triste rappel de cet oubli volontaire. Oubli qui faillit être renouvelé, le 21 avril 1944, lors de l’adoption d’une « Ordonnance portant sur l’organisation des pouvoirs publics », où seul la vigilance du communiste Fernand Grenier, porteur d’un amendement, permit l’adoption du droit de vote pour les femmes. Il fallut donc attendre le XX° siècle, en France, la deuxième moitié de ce vingtième siècle, pour que les femmes puissent devenir citoyennes, puis obtenir de nouveaux droits, quitté un satut de mineures. Mais la loi ne fait pas la réalité. C’est l’objet de la troisième grande vague féministe que de faire rentrer l’émancipation féminine dans les faits.

(poser en dessous) HYPO -THÈSE

Comme le dit l’étymologie, l’hypothèse c’est ce qui arrive par en dessous la thèse, c’est le courant qui intervient dans l’Histoire pour la bousculer. J’ai acquis la conviction que la « révolution féministe » en cours ouvre des chemins qui peuvent permettre à l’humanité toute entière d’en finir avec l’exploitation des humains par d’autres humains.

Bien sûr les luttes des femmes doivent se fixer pour objectif d’en finir avec l’exploitation des femmes par les hommes et leur sur-exploitation par les capitalistes, d’en finir avec la domination masculine.

Mais faisant cela, elles participent à l’affaiblissement du capitalisme, elles aident à imaginer et bâtir « le capital-exit » (sortie du capitalisme). En combattant le sexisme, elles favorisent la lutte contre toutes les idéologies de domination : racisme, âgisme, mépris des plus pauvres.

Contrairement à la fable du marxisme dogmatique qui prétendait que la victoire des prolétaires libérerait les femmes, je pense que non seulement il faudra l’ébranlement total du système patriarcal pour que les travailleurs de « tous les sexes » et origines s’unissent pour en finir avec le capitalisme, mais j’ai aussi la conviction que cet ébranlement du patriarcat est l’actualité de ce XXI° siècle.