5 / Il y a une vie après 60 ans
En cinq années de vie à la retraite, cinq années de découverte de la condition de retraité, cinq années d’études de cette condition, j’ai acquis une conviction, il y a une « cause des vieux », comme il y a une cause des femmes. Et nous avons de la chance, plus de la moitié des vieux.elles sont des femmes, la convergence n’en sera que plus facile.
Il y a longtemps que la condition des vieux, des vieillards écrivaient S. De Beauvoir, n’est pas enviable dans notre société. Mais la génération née dans les années 30 est la première à avoir connu – à connaître – une durée de vie allant bien au-delà des 60 ans pour la grande majorité d’une classe d’âge, au moins pour ceux qui ont survécu à la guerre . Ce n’est réellement qu’à partir de cette révolution démographique qu’émerge la possibilité d’une cause des vieux. Le XX° siècle aura vue émerger deux nouvelles catégories de population : la jeunesse et la vieillesse. Toutes deux sont des créations du capitalisme. Le besoin d’une main-d’oeuvre qualifiée a obligé le capitalisme a prolonger la scolarité. C’est cette prolongation de la scolarité qui a créé une classe d’âge entre l’enfance et le travail subordonné. C’est elle qui autour de Mai 68 a fait émergence sur la scène sociale et politique. Alors que la dynamique des progrès scientifiques et techniques couplés à celle des conquêtes sociales a permis à des générations entières d’avoir une espérance de vie de plusieurs dizaines d’années après soixante ans. Dans ces nouvelles conditions, le droit à la retraite a muté d’un droit au repos et à échapper à la misère pour la fin de vie, vers un droit à un nouveau temps de vie libéré du travail contraint. Ceci pouvait être, être le début d’une nouvelle ère pour la civilisation humaine.
Mais ceci ne fait pas l’affaire des capitalistes, c’est pour cela que depuis bientôt 40 ans, ils font tout pour opposer les jeunes aux vieux. Ils veulent nous reprendre tous les conquis du XX° siècle, baisser les salaires des « actifs » et plus encore celui des travailleurs retraités. Ils ne s’intéressent aux vieux que comme consommateurs ou comme travailleurs surnuméraires, pour développer la précarité chez les jeunes comme chez les « seniors ». Quelle absurdité de vouloir faire travailler plus longtemps les travailleurs âgés, quand leurs enfants ne trouvent pas de travail et que ceux qui viennent juste derrière eux, les plus de 50 ans sont de plus en plus nombreux sans travail. Un chômeur est utile pour leurs profits en faisant pression sur les salaires et sur l’État pour qu’il vienne au secours des patrons. Un retraité s’il ne reprend pas un travail salarié ou s’il n’est pas un consommateur ne sert à rien… pour eux.
Notre classe d’âge n’a pas encore émergé sur le terrain social et politique, en même temps que la jeunesse connaît un terrible reflux de son poids dans la lutte sociale. Pour les classes dominantes l’enjeu est d’un côté de dompter les jeunes pour en faire des travailleurs soumis et, à l‘autre bout de la vie, de rendre invisible les vieux : qu’ils restent jeunes et consomment, ou bien qu’ils disparaissent.
Les vieux comme les jeunes, unis autour des plus démunis, discriminés d’entre eux représentent des forces dangereuses pour l’ordre établi. La lutte des classes est plus que jamais à l’ordre du jour (cf. l’explosion des inégalités, l’exploitation de plus en plus intense des travailleurs…). Mais, les vieux, comme les femmes, les jeunes, les homosexuels, les gens de couleur… ont besoin d’organisations autonomes pour prendre la place qui est la leur dans la lutte pour un autre monde, un monde humain.
Nous avons nous les vieux à mener notre propre guerre des idées, la lutte de classe se joue déjà dans l’appropriation de mots capables de dire la réalité, notre réalité.
Propositions de définitions : (une fois de plus, je n’invente rien, je mets au clair)
• Le travail
Le travail n’est jamais un coût ! Il est création de valeur. Dans le travail salarié du secteur privé, le produit du travail n’appartient pas au travailleur, qui vend sa force de travail et se fait voler le surplus de valeur créer. Il existe bien d’autres formes de création de valeur : travail artisanal, travail dans la fonction publique, travail domestique, travail citoyen, associatif… et travail choisi des retraités.
• Vieux/Vielle
Avoir droit à la « retraite ». Et pour nous, c’est à 60 ans, voire plus tôt, selon la pénibilité du travail ou la santé du travailleur.
• La pension de retraite
C’est du salaire maintenu, il doit être, devrait être égal au dernier salaire perçu avant 60 ans.
• La cotisation sociale
C’est la partie du salaire qui est « socialisé », c’est-à-dire mis dans une caisse commune pour assurer des droits à se soigner, à la retraite, à élever des enfants… à terme nous devons envisager d’étendre cette socialisation à de nouveaux droits, voir en faire un outil du changement de propriétaire des outils de travail (cf. Bernard Friot). Avant d’en arriver là, nous devons réaffirmer qu’il est absurde de parler de cotisations patronales, de même que lorsque nous réclamons des augmentations de salaire, nous parlons toujours du salaire brut incluant donc des augmentations de cotisations. Nous sommes aussi favorables à des augmentations des taux de cotisations pour augmenter les protections collectives.
• Vieillir …ça commence dès après la naissance et c’est le seul moyen connu pour vivre plus longtemps. Qu’est-ce qu’on entend et lit dans vieillir : vie. La vie s’accompagne toujours de processus d’usure, de déclin ; mais la vie humaine permet « jusqu’à la fin » une acquisition de connaissances, de développements intellectuels (ce que confirmes les découvertes scientifiques les plus récentes) et… disons des capacités humaines, nous pouvons aussi appeler cela un plus de sagesse.
• Vieillir mieux
Ce n’est pas le « bien vieillir » des marchands, des injonctions à rester « jeune ». Rester jeune, vouloir rester jeune c’est ne pas être soi, se fondre dans un paysage ou le jeunisme nous dicte ce que nous devons et ne pouvons pas être. Vieillir mieux ne peut être que le résultat de choix politiques en faveur de la vie de chacun, sans ingérence dans les choix qui appartiennent aux individus.
• Âgisme
L’âgisme est le mot utilisé pour désigner toutes les formes de discrimination vis-à-vis des vieux. Tel qu’il se développe dans nos sociétés, c’est une forme de « racisme » envers les vieux. Son pendant, le jeunisme , sous couvert d’une glorification de la jeunesse, se retourne contre les jeunes « réels » et fait couple avec l’âgisme contre une société harmonieuse pour tous.
• Prendre soin des humains
– cf. IV- 6/ Notre humanité commune est nôtre valeur suprême.
Pour un projet offensif :
Il me semble que, munis de ces quelques mots clarifiés, nous voilà mieux armés pour penser « un projet de société pour tous les âges ». Pour l’essentiel celui de l’UCR CGT me paraît bon. Mais à la CGT nous glissons encore trop souvent sur le sens des mots, nous n’avons pas suffisamment fait nôtres leurs définitions subversives. Pas étonnant après que nous soyons désarmés pour les proposer aux salariés comme des armes pour nous défendre. De plus, c’est toute la CGT qui doit s’approprier la bataille pour vivre mieux, pour vieillir mieux.
Pour une société humaine pour tous les âges nous devons avancer un plan simple, il faut rendre intangibles les dates repères de la vie. De 0 à18ans, scolarité obligatoire et gratuite. À 18 ans, majorité civique… et économique. Donc un salaire minimum pour tous que l’on poursuive les études, que l’on travaille ou que l’on soit au chômage. À 60ans, retraite avec maintien du salaire. Et de 18 ans à 97 ans (Tintin n’est plus à la page avec ses 77 ans) droit à la formation. Voilà selon moi le cadre le plus opérant pour faire cesser leurs tentatives, trop souvent réussies, d’opposer les uns aux autres. Bien sûr nous n’en sommes pas là, mais pour cesser de reculer il faut mettre en avant un plan d’avenir réaliste, conquérant, et enthousiasment.
Ce que nous proposons, ce que nous voulons est une révolution : une sécurité sociale pour tous. C’est possible, dès 1945 nos prédécesseurs ont construit un formidable édifice, malgré leurs multiples coups de boutoirs nos adversaires n’ont pas mis à mal ses fondations. Mais ils sont dans la place, il nous faut la reconquérir, la reconstruire… Deux pistes pour engager cette nouvelle révolution : 1/ nous battre, pour sa gestion par les travailleurs – y compris la fixation des cotisations – , le retour à des conseils d’administration élus 2/ engager une campagne nationale et offensive pour la réouverture des accueils de la sécurité sociale. Nous ne devons pas accepter le discours sur le « numérique à tout faire », les assurés et les usagers ne doivent pas être exclus de leurs « services publics », les ordinateurs et les robots ne doivent pas remplacer les humains, pour les tâches « nobles » et donc spécifiquement humaines. Et quoi de plus humain que l’accueil, l’écoute, l’information, l’échange.
Pour recréer du lien social, il nous faut investir l’espace public, réclamer la construction d’agoras. Nos organisations doivent recréer des bourses du travail à l’image de celles qui ont permis l’émergence du mouvement syndical. Elles permettraient aussi l’échange avec nos associations, nos organisations politiques. Elles devraient être des centres d’animation culturels.
Pour être porteur d’un projet de société pour tous les âges, il nous faut aussi engager la bataille contre l’âgisme dans nos organisations. N’acceptons plus d’être cantonnés dans le rôle de forces d’appoint fez », ni le mépris pour notre « âge ». Nous les vieux, cessons de dire devant des mobilisations insuffisantes «les jeunes ne sont pas mobilisés » quand parmi les vieux ne sont présents que les militants. Dans nos propres mobilisations, si les actifs ne sont pas là, posons-nous la question « qu’avons-nous fait pour aller les chercher ». L’intergénérationnel, c’est une construction, un combat. Changer nos organisations pour être capables de changer la société est un objectif incontournable, qui doit trouver sa place dans notre projet.
Je m’arrêterais là sur notre projet, mon seul objectif est d’avancer des pistes de débats pour le rendre plus offensif, porteur d’utopies concrètes et de l’espérance révolutionnaire, sans laquelle nous n’arriverons à rien.
Le texte qui suit a été publié en 2013 dans le bulletin de l’UL CGT :
Retraités nous sommes, aussi, l’avenir de notre pays !…
et de la CGT.
Alerte ! « Le vieillissement de la France est un fléau, les retraités coûtent trop cher, les « vieux » ruinent l’assurance maladie… » L’opération politique et médiatique est claire, il s’agit de nous désigner comme une population privilégiée et pour les plus « vieux » ou plutôt « usés » d’entre nous (ce qui n’a souvent que peu à voir avec l’âge) une population en trop, superflue. Il nous faut combattre, avec toute la CGT, le venin de la désinformation. Mais nous, retraités, nous avons la responsabilité particulière de démontrer que vivre plus longtemps n’est pas renoncer et que nous sommes prêts à prendre nôtre part pour construire l’avenir de notre pays et de la CGT.
Combattre la désinformation :
– Le mensonge démographique
Non la France n’est pas un pays dont la population est vieillissante, où les « vieux » seront bientôt majoritaires. À l’horizon 2050 les projections démographiques dessinent une France répartit en trois tiers, un tiers moins de 30 ans, un tiers de 30 à 60 ans, un tiers de plus de 60 ans. De plus nous refusons de voir voir les plus de 60 ans comme des inutiles (1). Si l’espérance de vie en bonne santé reprend sa marche en avant, grâce au plein emploi et à la retraite à 60 ans à taux plein, après soixante ans la grande majorité d’entre les retraités pourront continuer, hors de la subordination à un employeur, à oeuvrer utilement pour la société.
– Le mensonge économique
Non ce n’est pas difficile de rétablir l’équilibre de notre système de retraite. Il manquerait 20 milliards d’ici à 2020 ? la belle affaire quand on voit les milliards engloutis dans la fraude fiscale, le renflouement des banques. La piste la plus importante pour l’avenir, c’est la cotisation sociale payée par tous. Pour travailler plus, la solution existe sans reculer l’âge de la retraite ni rallonger la journée ou l’année de travail – tout au contraire, il faut travailler tous et se former tout au long de la vie. En finir avec le chômage en créant la sécurité sociale professionnelle.
Non les retraités ne sont pas des nantis, ils n’ont pas volé le « maintien » de leur salaire (et il y aurait tant à dire sur la manière dont nos retraites ont été rabotées) après une vie de travail. Parce que la retraite, c’est bien cela : la continuation du salaire grâce à la partie socialisée de celui-ci.
– Le mensonge politique
Comme toujours les défenseurs du capitalisme ont une arme préférée : la division. Comme ils divisent les actifs entre eux avec le racisme. Ils essayent de diviser actifs et retraité par une forme insidieuse de racisme : « l’âgisme ». Nous serions tous des vieux égoïstes et réacs : « radins, radoteurs, réacs ». Alors que nous aidons nos familles, que nous participons à la vie associative, que nous sommes des citoyens. Il n’est pas vrai que nous votons plus à droite que le reste des électeurs, par contre il est vrai que les plus défavorisés d’entre nous meurent trop tôt et ne peuvent plus participer à la vie de la cité.
– L’erreur anthropologique
Derrière « leurs » discours, c’est une autre vision des humains, de la vie humaine qu’ils véhiculent. Pour les « libéraux » n’existent que « l’homo economicus », celui qui par son travail ou sa consommation permet au capital de s’engraisser. L’enjeu du débat sur la retraite à 60 ans à taux plein et à un niveau permettant à tous de bien vivre est un enjeu de civilisation. La question est quelle société voulons-nous ? Notre réponse est simple, nous voulons une société du partage des richesses entre tous, une société où tous les âges vivent harmonieusement ensemble.
La vie que nous, retraités, voulons :
– Une retraite décente (et suffisamment tôt) pour tous
C’est notre droit à bien-vivre et en bonne santé que nous défendons. Pour cela il faut que salaires et retraites suivent le même mouvement de hausse. Il faut aussi que la Sécurité sociale reprenne la place voulue par le Conseil National de la Résistance, pour des remboursements des soins à 100%.
– Vivre pleinement notre vie
Le droit à la retraite, ce n’est pas le droit aux loisirs. Bien sûr, le droit au repos pour le travailleur en fait partie intégrante, aussi le droit de profiter de nouvelles possibilités pour choisir la manière de remplir nos journées. Mais nous revendiquons aussi le droit de pleinement participer à la vie du Pays. Il faut donc, au-delà des associations existantes et de la vie citoyenne et politique, créer les cadres collectifs pour que nos compétences puissent continuer à se développer en nous permettant de prendre une part active au développement des vraies richesses pour tous.
– Prendre notre part au combat pour changer notre monde
Pour cela, bien sûr, nous serons en première ligne dans la bataille contre la nouvelle réforme des retraites. Mais nous serons aussi au côté de nos jeunes pour leur droit à l’autonomie à 18 ans, leur droit au travail. Nous serons de toutes les batailles pour la justice, l’égalité et la défense de nos libertés.
Nous, retraités, avons la responsabilité d’organiser le mouvement social des retraités, pour cela nous avons besoin d’une CGT des retraités bien plus forte. C’est notre affaire, mais c’est aussi l’affaire de tous dans la CGT. Nous ne devons pas perdre un syndiqué au moment du passage à la retraite, c’est une question à soulever dans chaque syndicat. Tout militant CGT doit aussi penser à proposer l’adhésion à ses proches retraités, dans sa famille, dans son voisinage, dans son association…
(1) j’avais écrit « nous refusons de voir les plus de 60 ans comme des vieux », personne parmi nous n’a vu la contradiction, comme si c’était honteux d’être « vu comme vieux ».
Merci !
Nos rédacteurs sont prévenus.