2/ La retraite ou la vie nouvelle introuvable

2 / La retraite ou la vie nouvelle introuvable

C’est l’heure de la retraite. Cette expression appelle immanquablement un autre mot « … sonne ! ». Déjà, ça donne comme un goût amer de défaite, sauf si nous disposons d’un plan d’attaque pour la suite. Ce n’était pas mon cas et je sais que je ne suis pas le seul, tant s’en faut, à me retrouver démuni.

Attardons-nous sur ce mot : retraite. Nous avons noté qu’il peut sonner comme une défaite. Dans retraite on entend : retrait, retrait de quoi ? de la vie active ? les retraités seraient condamnés à la passivité ? Le lecteur pourrait se dire que je joue sur les mots, mais n’est-ce pas le rôle de celui qui écrit de travailler sur les mots, pardon, de jouer sur les mots. Le travail serait donc un jeu. Bon, O.k., il s’agit de la « vie active » au sens de la nomenclature de l’I.N.S.E.E., soyons précis. La retraite serait donc le retrait du travail. Mais là, nouvelle difficulté, de nos jours ce n’est plus vrai : on peut « prendre sa retraite » et continuer à travailler, depuis déjà longtemps on pouvait être à la retraite et reprendre un travail. Donc nous ne pouvons même pas expliquer que le droit à la retraite est le droit de ne plus travailler pour un employeur, puisque beaucoup continuent, ou sont obligés de retravailler. On peut donc être à la retraite et devoir rester subordonné à un employeur.

Revenons un instant sur la notion de retrait et proposons d’emblée une nouvelle revendication pour les salariés, comme il existe déjà un droit de retrait en matière de danger au travail, pour quoi ne pas réclamer, à partir d’un certain âge « le droit de Retraite » pour les salariés pour qui le travail est devenu dangereux.

Pour sortir du casse-tête qu’est la signification réelle de ce mot, le Larousse ne nous propose pas de solution, puisqu’il rajoute : « prestation sociale, versée à quelqu’un qui a pris sa retraite ». Il introduit même une difficulté supplémentaire, que signifie : « prendre sa retraite », puisqu’il existe aussi des mises à la retraite.

Après ce détour par le vocabulaire, j’en reviens à mon histoire. Donc à 60 ans je n’avais pas encore droit à ma retraite, la législation ayant évolué, mal. Bien qu’ayant participé activement aux mobilisations de 2010 pour le maintien à 60 ans du droit à la retraite, avec beaucoup des salariés de la CAF ou je travaillais, personnellement je ne me sentais qu’à moitié concerné, ayant fait depuis 2005 le choix de travailler jusqu’à 65 ans pour cause de situation familiale. La moitié,  en moi qui se sentais concernée était celle de la souffrance occasionnée par mes relations de travail dégradées. Finalement, j’ai eu le droit à une « mise à la retraite » au nouvel âge légal, pour moi c’était 61 ans, sous une forme originale, celle d’une rupture conventionnelle à l’initiative de l’employeur (sic). Il faut savoir que la notion d’employeur dans les organismes de Sécu est particulièrement tordue et objet de débats juridiques. Là il s’agissait bien du Directeur de l’organisme, mais il n’eut pas de mal à trouver les sous auprès de l’institution pour se débarrasser d’un des trois agents de direction dans un organisme de sécurité sociale du régime général ayant sa carte à la CGT. 

Pour moi, c’était une libération brutale. Comme la sortie d’un tunnel, la remontée d’un puits, mes poumons éclataient à l’air libre, ma tête aussi. Quand je retrouvais mes esprits, sans réfléchir je réinstallais mon bureau à la maison. J’avais dû précipitamment regrouper et emporter toute la documentation accumulée dans mon  bureau à la CAF. Je retrouvais à mon domicile toutes mes lectures en retard. Je savourais ce temps… libre, mais très vite très occupé..

Refusant l’idée d’un pot de départ sur le lieu d’un interminable conflit,  j’émis l’idée d’inviter à l’extérieur. Mon épouse se chargea de son organisation avec l’aide de quelques ami(e)s proches. Le tour de force de réunir des collègues de travail de positionnement divers dans les conflits, avec mes ami(e)s  politiques les plus proches et des amis de la famille… fut pour moi une surprise très émouvante, un moment de bonheur avec beaucoup de larmes. Pleurer souvent était un trait personnel que je devais sans doute à ma sensibilité, mais surtout à ma dépression (il me faudra en reparler), dans les instants de fort bonheur je pouvais me noyer, ce fut le cas ce soir-là. Une amie si importante pour moi me remit, après les multiples cadeaux qui me touchaient tant, le plus important des cadeaux pour moi : ma première carte syndicale de retraité CGT. Dans les mois qui suivirent, je découvris l’important travail de réflexion sur la vieillesse et sa place dans la société menée par l’UCR (Union Confédérale des Retraités) CGT, ainsi que la place prise dans ce travail par la CGT retraités de Haute-Saône. Ce fut pour moi aussi l’occasion de rencontrer, ou de mieux connaître de bien belles personnes plus âgées que moi, pleines de vie et d’attention aux autres et au monde. Elles étaient la preuve, les preuves, devrais-je écrire, que la vie continue après 60 ans et bien au-delà.

De ma désespérance sur l’avenir, personnel, que j’ai traînée durant mes dernières années au boulot, je passais à un enthousiasme sans mesure sur « la vie nouvelle » promise aux retraités. « Vie nouvelle », c’est aussi le titre du magazine des retraités CGT publié par notre UCR, la meilleure publication de la CGT à mes yeux. Mon enthousiasme pour un horizon de vie retrouvé se reportait aussi sur ce journal dont je devins un promoteur ardent dans nos structures et en direction des « quelques »   retraités que je trouvais parmi mes « quelques » relations. Ce quelques que je mets ici entre guillemets, fut pour moi le début d’un malaise d’abord diffus, puis très perturbant. Pour la première fois de ma vie, je me retrouvais en contradiction dans mon militantisme,  mon discours tournait à vide. Je ne pouvais réaliser ce que je prônais. Il faut vendre ce beau magazine, oui, mais à qui ? De manière paradoxale ce magazine fut pour moi le déclencheur d’une réflexion sur ma solitude et plus largement sur la solitude des retraités.

Avant que cette réflexion douche mon enthousiasme. Je fis une belle rencontre de plus, celle de Bernard Friot. Je connaissais superficiellement son travail sur la Sécurité sociale et sur les rôles des cotisations sociales, sur la retraite… sa venue à deux reprises en Haute-Saône fut pour moi l’occasion de connaître un théoricien important et un homme remarquable, attachant, mais aussi d’éclaircir nos désaccords.

Mon travail à partir du sien me permit de donner une cohérence solide à ma conviction que la révolution démographique (l’accroissement de  l’espérance de vie) couplée à une Sécurité sociale solidaire ouvre une perspective de libération humaine. Mais de la théorie à la pratique il y a aujourd’hui un gouffre à enjamber, de 1945 à aujourd’hui, et surtout depuis la fin des années 1980, de l’eau  à couler sous les ponts. Il me fallut peu de temps pour ressentir dans ma vie nouvelle de retraité l’ampleur des dégâts causés par la grande régression libérale.

J’ai  dû aussi me confronter à ma propre réalité. Je me… nous nous séparions mon épouse et moi, un an après ma retraite. J’appris, je savais que c’était un scénario courant.  Bien que cette défaite vienne de loin et soit le résultat de bien des erreurs (des deux), depuis bien longtemps,  je n’avais rien vu venir, ou pas voulu voir venir, ce fut douloureux. Après la fête avec mes anciens collègues, ce fut l’éloignement, trop de douleurs nous séparaient, eux encore dans la galère, moi dehors après la défaite. Pour ce qui est des autres liens personnels, il faut se rendre à l’évidence, dans mon couple, comme dans la grande majorité des couples, c’était la femme qui assurait les relations extérieures… Bien sûr le bonheur d’avoir près de moi mes deux derniers enfants. Ils ont toujours une chambre chez moi. Mais ma fille vit sa vie, le plus souvent à l’extérieur et en parfait décalage horaire avec moi. Mon fils pendant l’année universitaire a sa chambre à Besançon.  Ma santé m’a éloigné des activités sportives qui m’attiraient et la vie associative à Vesoul est réduite à une portion congrue qui n’offre rien qui m’intéresse. Mes difficultés financières me font renoncer à quasiment toute sortie.

Il me reste à m’expliquer sur ce qu’il en est de mes engagements politiques et syndicaux. Pour moi, ce n’est pas la joie. En remontant le temps, je m’interrogerais sur le pourquoi et le comment, mais la gauche dans notre pays me semble bien mal en point. Je dis « la » gauche et je n’accole plus d’adjectif ou de complément après gauche, ni radicale ni vraie, ni de transformation, encore moins le stupide « de gauche »… la gauche point. Elle est forcément un peu tout ça, sinon c’est la droite. Par contre en son sein il  peut y avoir 100 options possibles, n’en faisons pas 100 chapelles et surtout pas un nouveau parti ou mouvement à vocation hégémonique. Bien sûr il y a le dynamisme et la place conquise par la France Insoumise, mais sa volonté hégémonique, son organisation autour d’un chef charismatique ne me conviennent pas du tout et la condamne, du moins c’est mon avis, à ne pouvoir conquérir une influence plus large que celle déjà conquise. De plus à Vesoul la fédération 70 du PCF n’a plus qu’un lien formel avec ce qui serait normalement mon organisation. Quant au PS il est réduit à un groupuscule très droitier. Rien d’autre n’existe à Vesoul, je suis un militant de gauche sans hébergement, sans affiliation locale possible.

Côté syndical, je ne dirais jamais assez ma gratitude aux animateurs sincères, intelligents de la CGT 70 retraités. Je me suis joint à eux et il me reste ma carte syndicale… entre deux réunions, quelques distributions de tracts sur les marchés et nos rassemblements annuels ou biannuels, je ne rencontre pas de retraités. Je supporte mal un entre-nous sans perspective, dans une CGT qui à mon avis n’ouvre pas les oreilles, les portes, les fenêtres pour se renouveler. Nous tenons encore des congrès semblables à ceux de ma jeunesse que je comparais à des messes. Je ne sais pas, aujourd’hui, comment nous pouvons militer pour l’organisation des retraités. Il y a tout à inventer pour une organisation territoriale de l’action syndicale, j’ai la certitude que nous ne pouvons rien faire sans les « actifs », les sections syndicales d’entreprises, sans inventer de nouvelles formes d’association de nos forces syndicales… quelque chose comme les bourses du travail qui furent un outil considérable dans la construction de la CGT à ses débuts. Il en va de notre capacité à fédérer autour de nous les jeunes, les femmes…. et les vieux qui peuvent se reconnaître dans une organisation de combat, de classe.

En attendant que les lignes bougent, j’ai souvenir de mon fils me moquant d’un tonitruant : « Et la révolution commence à Echenoz-la-Méline ! », le patelin à côté de Vesoul, ou nous vivions alors. Je me garde bien de croire que je vais changer le cours des choses depuis Vesoul, même si c’est la « capitale » (17000 habitants…) de la Haute-Saône ! 

Il me reste mes livres pour tenter de comprendre et mon ordinateur pour tenter de prendre la parole.

Face aux dangers de la télévision (s’endormir devant, bruit de fond et au bout du compte abrutissement), j’applaudis le remarquable travail de France Culture qui me permet de continuer à me former, d’élargir mes curiosités et de ne pas crever du silence qui régnerait dans mon appartement.

Derrière le rêve du temps libéré … la solitude !