I. Ma vie, mes chemins
3/ Ma vie à la Sécu : l’usine, le guichet, le syndicat, la grève…
Je suis entré à la Sécu, Cpcam de Marseille, le 13 janvier 1975.
Ma démarche s’inscrivait clairement dans le mouvement « d’établissement » voulu par les organisations « gauchistes » ayant recruté après le mouvement du printemps 1968 dans les universités et aussi largement dans les lycées. La partie la plus visible de ce mouvement visait l’implantation dans les usines, au sein de la classe ouvrière. Mais il fut sans doute plus massif au sein des services publics et de manière plus large dans les fonctions dites d’employés. Dans ce chapitre je pense pouvoir démontrer que le monde des ouvriers et des employés forme un ensemble unifié, celui des travailleurs subalternes de la production (entendue au sens large de « biens » et de services). Affirmer cela, ce n’est pas nié les différences, je les percevais et même les amplifiais au moment de choisir mon chemin. De 1971 à 1974, j’ai « gagné » ma vie comme ouvrier, j’avais fait quelques expériences lors des étés de 68 à 70, la première était même une expérience comme ouvrier agricole en Espagne. Je gardais de ces premières expériences de la vie « professionnelle » une peur de la fatigue, de la violence physique constitutive de ces travaux. Aussi quand mon organisation politique m’incita à candidater pour travailler aux chantiers navals de La Ciotat, j’ai triché, j’ai dit ne pas avoir été retenu, alors que je ne m’étais pas rendu aux épreuves de sélection. Ma petite lâcheté parle de moi, mais aussi du climat ouvriériste qui régnait dans mon organisation, qui n’était pourtant pas la pire dans ce domaine. J’ai donc participé à une série de concours pour entrer dans un service public. Je travaillais déjà comme vacataire aux PTT (télégraphe), mais je fus « remercié » au vu de ma situation vis-à-vis du service militaire. Ce fut donc la Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône. Il y eut en 1974 et 75 une vague d’embauches à la Sécurité sociale. À la question sur le service militaire j’avais répondu un oui, que je pensais pouvoir défendre comme n’étant pas un mensonge compte tenu d’une formulation ambiguë.
En rentrant dans des locaux de la Cpcam 13, le 13 janvier 1975, je ne mesurais pas que je prenais un engagement pour près de 40 ans, même pour le restant de ma vie, à la retraite je me vis toujours travailleur de la Sécu. Contrairement à certains de mes aînés en politique, ayant eu le temps d’avancer dans leurs études et dans la réflexion sur la vie qu’ils souhaitaient, je ne voyais pas cet « établissement » comme un simple passage et ce ne le fut pas. Même si je ne tins pas la promesse intérieure que je m’étais faîtes, dès 1968, de ne jamais devenir cadre… mais c’est une autre histoire, un autre chapitre de ce texte.
En rentrant dans ces locaux de la Cpcam 13 je ne savais pas non plus que j’allais découvrir à vitesse accélérée cette entreprise. En effet le matin je pensais avoir été embauché pour travailler sur Marseille. En début d’après-midi un groupe de 2,3 dizaines de nouveaux agents fut réuni auprès d’une dame qui nous annonça que nous avions été choisis, désignés pour faire partie d’une équipe volante chargée d’intervenir dans tous les centres du département. Nous ne fûmes que 2 à lever la main pour expliquer que n’ayant ni véhicule ni permis de conduire, nous n’étions pas intéressés. Sa réponse fut de nous dire : » si vous n’êtes pas intéressés, je ne vous retiens pas, vous pouvez rentrer chez vous » . Sans nous concerter, sans hésiter nous sommes restés. Il s’appelait Jean-Louis Zenino, il allait devenir mon ami, sa culture sociale et générale, sa gentillesse allait m’apprendre beaucoup pendant mes trois premières années à la Sécu. J’ai appris son décès, avec retard, au moment de revenir dans les Bouches-du-Rhône (2018), grande tristesse et si bon souvenir. C’est dans le cadre de cette « Équipe d’intervention » que je découvris à plusieurs reprises Martigues. La première fois j’atterris dans une villa qui hébergeait le centre regroupant les dossiers des travailleurs de la Solmer.. L’essentiel de nos activités, comme « employés fichiers » consistaient dans le classement des feuilles de soins. Au début de l’année 1975 un retard considérable avait était pris, suite à la première informatisation de la saisie des feuilles. Donc dans cette villa, on nous amena dans la salle de bain (je crois que j’étais avec Jean-Louis)… il y avait des feuilles de soins partout, sur des étagères, dans l’armoire à pharmacie, dans le lavabo, dans la baignoire, qui débordait. Mais les feuilles de soins ne coulent pas, donc elles s’entassaient bien au-dessus du niveau maximum… pour l’eau. Faute d’écoulement, c’étaient à nous de les classer, d’en faire des paquets, des bacs, puis des « mètres linéaires » de classement sur étagère. Une formation de 10 minutes sur la composition du n° de Sécu et les quantièmes du calendrier suffisait à faire de nous des employés fichiers émérites. Nous en avons classé des archives dans tous les centres du département, des milliers et des milliers, par dizaines, par centaines… Travail passionnant s’il en est, surveillé et comptabilisé. Mais pour un apprenti militant syndicaliste, fonction très utile, je fis donc connaissance de la plupart des centres de paiements, de beaucoup de mes collègues, des militants de mon syndicat, dans un premier temps j’avais choisi la Cfdt, mais aussi des autres syndicats. Le choix de la Cfdt, celle que nationalement beaucoup de « gauchistes » avaient choisie, celle de Lip, je venais de Besançon. En même temps que moi, beaucoup de jeunes embauchés avaient aussi choisi la Cfdt. Avec mon expérience, déjà, de la prise de parole, de l’organisation, il me fut simple de devenir le secrétaire de la section syndicale. C’est après que cela c’est compliqué. Une camarade travaillant au service contentieux m’expliqua qu’avec mon look, cheveux longs, et ma tenue vestimentaire, j’affectionnais tout particulièrement à cette époque une tunique indienne violette avec broderies or et les sabots en bois, jamais je ne serais pris au sérieux dans son service. Ce fut donc pour moi un détour par le coiffeur et l’achat d’une veste en velours côtelé marron. Avec ce nouveau look, ce ne fut pas le début d’une « notabilisation », je parlerais de ce risque, mais d’une meilleure intégration au sein de l’entreprise dans sa diversité. Après trois ans de travail itinérant, un congrès de la section syndicale de reprise en main par le PS, un mouvement de grève auquel je participai activement en 1977, l’adhésion à la Cgt pendant le conflit… J’accède enfin au cours de technicien, je fais mes gammes à Marignane, à Port-de-Bouc avant d’atterrir pour 15 années au centre de paiement de Martigues. Ecrire sur cette période 50 ans après mon arrivée à Martigues et 25 ans après mon départ de cette ville est tout à fait étonnants beaucoup de souvenirs sont précis. Après mes gammes de techniciens, je fis celles d’agent d’accueil, au début nous traitions les dossiers derrière la banque, un espèce de comptoir où nous recevions tour à tour les « assurés » (à cette époque là nous les appelions pas encore des « clients »). Par la suite l’accueil fut séparé du lieu de traitement et la fonction était surtout assuré par des techniciens chevronnés. Un chef de centre aux idées très « à droite » m’y fît revenir. Voulant réussir dans sa gestion de son nouveau centre, il était conscient que les risques « d’incidents » avec la population « venue de l’autre côté de la Méditerranée », pouvait nuire à son objectif louable, ma mission : pacifier les relations agents, assurés. Cette mission fut gagnée le jour ou excédé je traitais de con un « chibani » qui emmerdait mes coéquipières, à leur surprise et remarques sur ce que je venais de me permettre, je répondis du tac au tac : « arabe ou pas, un con est un con », je venais de gagner une importante bataille contre le racisme. Parallèlement à mon apprentissage des métiers de base de l’assurance maladie, je fis celle du syndicaliste accompli. J’appris à animer la section syndicale le rôle de délégué du personnel, plus tard celui d’élu au Comité d’entreprise. Ce dernier rôle me fut utile pour sortir de mon centre, donner plus de sens à ma présence dans la commission exécutive du syndicat.
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