1/ Mes années de formation

I. Ma vie, mes chemins

« Je serai toujours le garçon qui grimpe sur le radiateur
de la salle de bains pour voir les étoiles … »
JJA

1/ Mes années de formation

Je suis né à Blanc-Mesnil le 25 décembre 1951. Comme, malgré parfois une tendance mégalo, je n’étais pas le nouveau messie, naître ce jour-là était une arnaque. Je m’en suis remis, comme de mon humiliation le jour où je me suis battu pour défendre l’honneur de mon papa parce que des plus grands prétendaient que le Père Noël n’existait pas, alors que mon « Père à moi » m’avait dit le contraire. J’étais le deuxième enfant d’une fratrie qui en compterait cinq, dix ans plus tard. Pour suivre l’évolution de la carrière de mon père, nous avons pas mal voyagé : Blanc-Mesnil, Aulnay-sous-Bois, Cabourg, Dives-sur-mer, retour à Aulnay-sous-bois, Besançon. Par la suite pour mes aventures de jeunesse, puis ma propre carrière je voyageais de Besançon à Marseille, puis Lausanne, Genève, Savigny-sur-Orge, Saint-Maur, retour à Marseille, Martigues, Châteauneuf-les-Martigues, Nancy,  Troyes, Saint-Étienne, Saint-Nazaire, Echenos-la-Méline et … Vesoul, dernière étape ? c’est pas encore sûr, mais probable, disons possible… quoique ?

À Blanc-Mesnil et Aulnay, nous habitions avec les grands-parents maternels. Ma Mamie est morte en 1962, mon Pépé nous a suivis à Besançon où il est mort en 1970. Cette année-là, pas très longtemps après sa mort j’ai fugué en Espagne. À mon retour j’avais rendez-vous avec une belle Dame qui me faisait rêver… elle est venue, je suis resté muet. Embauché comme employé de librairie, après quelques travaux en usine comme intérimaire, je pris mon premier appartement (cf. Annexe 1).

Je m’arrête là pour l’instant, je ne veux pas vous raconter toute ma vie, ou vous dire tout sur moi. Je veux rédiger un « document », sur ce qui a fait de moi, ce qui m’a permis de faire de moi, un militant… Il faudrait que je trouve un adjectif, une qualification à accoler à militant. Il en est plusieurs qui me conviendraient, mais toutes posent un problème, soulèvent une ambiguïté. Révolutionnaire ? Je ne le suis pas assez pour beaucoup, même de mes amis. Communiste ? ça me plaît, mais il n’y a pas très longtemps que je suis au PCF et je n’ai pas aimé du tout ce qu’était ce parti en 1968. « De gauche » ? Certes, mais pas comme F. Hollande et au sein de cette gauche j’ai toujours été d’un « camp » plus « radical »… excusez les guillemets à répétition, mais tous les mots sont piégés. Je pourrais aligner, discuter plein de mots, je ne trouverais pas aujourd’hui celui qui conviendrait pour définir l’orientation de ma vie. Puisqu’il s’agit bien d’une orientation, je vais juste indiquer la direction, j’écrirais dorénavant : militant à gauche. C’est à dire dans le camp des travailleurs, des exploités, mais aussi de tous les opprimés, dans le camp de la culture pour tous, dans le camp d’une humanité unifiée, à unifier. Pour moi tout ceci me semble coller aujourd’hui avec mon adhésion au PCF, d’autres font d’autres choix, l’important c’est d’aller à gauche, de reconstruire.

J’ai longtemps utilisé la formule « je suis né en 1968 », je signifiais par là que les évènements de cette année-là avaient marqué une rupture dans ma vie personnelle et tous les choix qui ont suivis. Cette rupture, ce choix d’un camp politique et social, d’un engagement radical au sens de Marx : « Être radical, c’est saisir les choses à la racine, mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. », viens aussi de ce que j’ai pris dans mon environnement familial, dans mon éducation. « Ce que j’ai pris » me semble la bonne formule, il n’y a pas de déterminisme mécanique. Nous étions cinq enfants, les trajectoires, les choix furent fort différents pour chacun. Je veux noter pour moi, ce qui dans ma trajectoire d‘enfant, puis d’adolescent m’a aidé à construire un attachement au camp des travailleurs, des dominés.

En remontant à mon enfance, je parlerais peu de la relation à mes parents, car je serais bien incapable de remonter à la petite enfance. Je n’ai pas suivi d’analyse. Il est sur que bien des aspects de ma personnalité se sont fabriqués à cette époque, je mentionnerais sans me tromper mon compagnonnage prolongé  avec la colère, une forme de timidité, ma peur de me perdre, ma peur panique à certains moments de n’être plus vu par personne (cf. le beau roman de Sylvie Germain « Hors champ »)… Il y a une autre raison à cette réserve pudique sur mes parents, mon père vit encore, je ne m’accorde pas le droit de « parler sur » lui et « sur » sa femme, ma maman. La même réserve rend extrêmement difficile la rédaction de ce qui concerne mes amours, ma famille, celle que j’ai tenté de construire, deux fois, recomposée. Je m’interdis de parler « sur » mes épouses. Parler « sur », s’oppose pour moi à parler de, je ne sais pas si cette distinction est très claire ni très correcte. Cependant, j’ai trouvé sur le net ceci : « Alors que -parler-  ne se construit pas avec -sur -, dire –sur- (un sujet, une affaire… voire quelqu’un) est attesté de longue date, y compris en langage soutenu (cf. discours sur la méthode), dans le sens de faire des commentaires -sur-. » Alors ça me va, j’aurais dû écrire je me refuse à « dire sur », pour me contenter de faits.

De ma mère je peux dire qu’elle m’a beaucoup aimé, valorisé. Au point de marquer une différence un peu difficile pour ma grande soeur. Le fait qu’elle « tombe dans les pommes » à la vue du sang a sans doute joué un rôle dans ma sensiblerie qui m’a toujours énervée. Dans ma formation de militant, je parlerais plus loin du rôle involontaire qu’elle a eu juste après le mois de mai 1968 et une dizaine d’années plus tard.

Mes souvenirs les plus lointains de mon père sont ceux liés à l’usine Cegedur (métallurgie) de Dives sur mer, où il occupait un poste de chef d’atelier. Nous avons habité quelque temps une maison juste à côté son usine, au point qu’il lui est arrivé d’intervenir sur les bêtises que nous faisions pendant qu’il était au travail. Je ne crois pas qu’il nous voyait les faire… mais la dénonciation était salutaire parfois, quand il s’agissait d’éviter à l’une ou à l’un de nous de tomber par la fenêtre. J’ai été très impressionné par la visite de cette usine : les presses, la tréfilerie. Ainsi, très jeune j’approchais le monde des usines, plus marqué par la beauté du métal en fusion que par la dureté des conditions de travail. Ce n’est que très récemment, alors que mon père aura 90 ans cette année, que j’ai discuté avec lui de sa formation initiale et de ses débuts professionnels.

Adolescent c’est une tout autre réalité du travail de mon père et de sa place sociale que je découvrais. En arrivant à Besançon en 1963 il intégrait comme salarié, mais avec d’importantes responsabilités, l’organisation patronale de la métallurgie (GIM). Entre temps, à Paris, alors que nous habitions à Aulnay je ne sus pas grand-chose de son travail. Ce fut surtout une période de formation, avec le CNAM, il devint ingénieur en organisation. Dans ses responsabilités dans l’organisation patronale il s’occupait, entre autres, de formation professionnelle, je m’intéressais à cet aspect de son travail. Je lui dois sans doute en partie mon grand respect pour le travail ouvrier… même si pour moi il était un défenseur d’un système que j’allais combattre. Son exemple m’a servi le jour où par nécessité  je décidais de devenir cadre, puis agent de direction. C’était possible, il l‘avait fait, je profitais aussi de documents à lui et surtout de méthodes de travail (cf. mes collections de coupures de journaux). D’ailleurs, ces méthodes me servirent surtout dans mon activité militante et intellectuelle. C’est mon père qui m’ouvrit le vaste monde des livres. La lecture dans mon enfance se limita à celle de trois livres : « Le dernier des mohicans », « Le capitaine Corcoran » et « Chico garçon des rues ». Si les deux premiers lus et relus me firent rêver, le troisième était plus prémonitoire. Il ne serait pas juste de passer sous silence les petites bandes dessinées (dans un format qui n’existe plus) avec des histoires de cowboys et d’indiens. Je ne refais pas l’histoire si j’affirme que je préférais quand les indiens gentils gagnaient. Il y eut ensuite le magazine Pilote ou je découvris Astérix et Obélix, mais aussi comment fabriquer un poste de radio avec une pomme de terre. Oui, oui, ça marche, je captais France Culture, déjà, mais ce n’était pas un choix. Le vrai déclic pour la lecture je le dois à un geste de génie de mon père. Un jour je fis une bêtise, ne me demandait pas laquelle, mon père ne m’a pas puni, il m’a fait la morale puis offert un livre avec une dédicace (ma première) morale aussi,  c’était « Terre des Hommes de Saint-Exupéry.  J’ai aimé ce livre, j’ai voulu connaître tous les livres de Saint-Exupéry. J’ai même lu Citadelle, pas tout compris, mais je trouvais ça beau. Le pli était pris, je ne m’arrêterais plus de lire. Je retrouverais souvent l’envie de découvrir tout un auteur, que ce soit de la poésie, de la philosophie… et beaucoup plus tard des polars, des romans. Par mon père il y avait des livres à la maison, dans mes années 68 je plongeais dans ses livres, même ceux qui heurtaient mes nouvelles convictions, notamment la très à droite, mais très belle et instructive revue Spectacle du monde.

Que je dise encore que mon père en me trouvant un travail en usine, au mois d’août 1969, m’a offert ma première expérience ouvrière. Mais dans un premier temps (trop long ) c’est surtout en opposition que je me percevais redevable de mon père pour mes choix, notamment mes choix politiques militants.

Par contre, c’est à mon grand-père maternel que je dois un lien vivant avec « le monde ouvrier ». À l’ancien footballeur je dois mon premier ballon en cuir (un souvenir qui m’émeut encore) et tout ce qui s’en suivit dans la passion du foot : la camaraderie sur le terrain, dans les vestiaires, autour du terrain. À Besançon le samedi soir, ou le dimanche en fin d’après-midi à la sortie du stade il y avait une belle manifestation populaire, joyeuse ou triste, très masculine certes. Du vin chaud qu’il buvait à la mi-temps, au petit rhum qui accompagnait son café sur le comptoir du café après le match j’ai copié plus tard ses mauvaises habitudes qui furent aussi moyens de liens fraternels. C’est lui aussi qui m’a parlé fièrement de son travail à la baratte pour fabriquer le beurre. J’ai gardé une certaine admiration pour le travail de fabrication, même si pour d’autres raisons, j’ai une certaine inaptitude au travail manuel, se transformant en aversion quand il s’agit d’en faire « pour le plaisir ». Il fallut du temps pour que l’on me dise dyslexique et me fasse bénéficier d’une « rééducation » pas du tout désagréable. Beaucoup moins sympathique fut le fait que l’on me déclare inapte à la pratique de la musique. Je fus le seul des 5 enfants exclu de cet apprentissage, qui m’aurait pourtant était bénéfique et que je désirais tant. De même cette étiquette, dyslexique, ne me protégea pas du mépris de mon prof de travaux manuels, qui s’acharna à m’éliminer du tableau d’honneur, ni des zéros en orthographe. Heureusement une prof de français intelligente su me valoriser autrement, c’était en 6°, une fois qu’elle eu découvert lors de jeux qu’elle organisait, l’étendu de mes champs d’intérêt et de ma culture. Puisque que j’en suis aux rencontres de professeurs, que je raconte que c’est aussi en 6°, qu’amoureux de ma prof d’histoire géo, je me pris de passion pour l’histoire et la géographie. En première et terminale, un autre prof de français, que je jugeais réactionnaire, su aussi valoriser et sanctionner mes efforts pour faire de mes rédactions des initiatives « révolutionnaires » : « cette fois monsieur Angot, votre tentative est totalement hors sujet, j’ai donc mis un zéro », la fois d’avant il m’avait mis 19, tout en exprimant son désaccord. Mais j’étais en première, ou en terminale, c’était déjà les années 68, mais encore le temps de la formation… pas pour longtemps.

Que je dise aussi que je fais aussi partie de la première génération télé. La télévision est entrée dans la maison familiale en 1957. Ivanohé et Zorro me servirent de héros modèles et le monde fît aussi son entrée chez nous, nous étions à table au moment du journal télévisé, je me souviens aussi de Cinq colonnes à la une.. Le monde je le découvrais aussi, plus tard,  grâce à mon transistor. C’est mon Pépé qui m’a acheté mon premier transistor, bien après le premier ballon, merveille il avait une poignée, il me suivait partout. Au début il me servit surtout à suivre les championnats de foot et les courses cyclistes, le Tour de France, qui n’était pas encore suivi par la télévision toute la journée. Comme tous les jeunes de mon époque, je découvrais les groupes de rock et les chanteurs à la mode. En 1968 ce sont les directs de la radio qui ont allumé le feu dans toutes les provinces.

Revenons à la famille, sans trop s’éloigner de l’éducation nationale. Mon grand-père paternel prof d’histoire-géo, directeur d’école, puis libraire, également Libre penseur a été pour moi une référence importante. Déjà il m’aida à ne pas faire de complexe à propos de mes fautes d’orthographe en me faisant connaître le dicton « L’orthographe est la science des ânes ». Il valorisa mes savoirs, renforça mon attrait pour l’histoire, indirectement pour la politique. Puis quand je m’éloignerais, puis rejetterais la religion de mes parents, je verrais en lui une référence. Ce fut aussi le cas pour mon oncle paternel, l’irrévérencieux, l’artiste, l’alcoolique aussi, le trotskiste, sur ce dernier point c’est peut-être mon imagination qui parle, mais c’est lui qui parla « des latrines en or » dans une citation de Lénine ou de Trotsky, lors d’un repas de famille !

Dans mon orientation à gauche, et la formation du bagage qui me prédisposa à l’engagement, il me faut ajouter à l’influence de la famille et de l’école, celle de l’Église. Eh ! Enfin d’une certaine Église, celle qui marchait à gauche, très minoritaire. À tout seigneur, tout honneur, le Père Baudicquey est pour moi l’humain le plus remarquable que j’ai rencontré. Il fut mon aumônier au Lycée Victor Hugo de Besançon, plus encore dans le cadre de la JEC. Je me rappelle avec émotion de ses ( ? ), dur de trouver un mot pour parler de sa parole, ce n’était pas un cours, pas un discours, pas une causerie. Il ne parlait pas fort, mais il captivait tout son auditoire (dans mon souvenir), il nous enrichissait, il nous faisait découvrir… sa culture était immense, son attention à nous était complète. Je n’ai plus une foi religieuse, mais je lui dois sans doute en partie ma foi à moi, celle dans les humains, dans l’humanité possible, espérée. Je lui dois aussi d’avoir découvert un Christ « communiste », Rimbaud, Renoir (le peintre) et Rouault… J’ai encore des notes prises lors de ses « prises de parole ». Je lui dois aussi la confiance dans l’affirmation de ma parole propre, par l’attention qu’il lui donnait en retour. À la JEC j’ai aussi connu le père Cachot (futur aumônier des prisons !), on l’appelait le PePsy à cause de sa formation de psychologue. Je sais la résonance qu’a eue en moi son affirmation « si quelqu’un crie ou s’il est  méchant, c’est qu’il a mal ». Eh oui Mr Valls ! déjà la politique de l’excuse ! Je sais aussi que c’est par son attention à moi, que lors d’une grande discussion il me dit : « dans tout ce que tu racontes, tu parles des humains (il a dû dire des hommes), il n’y a pas de place pour Dieu ». Je ne sais ce que je lui ai répondu sur le moment, mais je sais que de ce jour je n’ai plus eu de problème avec un Dieu, il n’avait pas sa place dans ma vie, dans mes réflexions. La JEC fut aussi ma première expérience d’organisation, de prise de responsabilités. Je ne situe pas exactement en quelle année se situe le congrès de la JEC où je découvris le charme d’une séance nocturne de débats à coup de motions et d’amendements. Pour clore le chapitre sur la contribution de l’Eglise à ma formation de militant à gauche, mon père avant le cadeau d’un boulot en usine en 1969 (qui paracheva mes convictions) m’offrit pour l’été 1968 un voyage organisé en Espagne sous la houlette d’un curé d’Aulnay avec qui mes parents étaient restés en lien. Il pensait m’éloigner des turpitudes post 68. Il ne pouvait pas deviner que dans le bus qui nous ferait faire le tour de l’Espagne, se retrouveraient des protagonistes du beau mois de Mai, avides de compléter leurs formations par leurs échanges. Ils feraient aussi une expérience de solidarité ouvrière en travaillant à la cueillette des poires. La réponse de choeurs en espagnol, par les belles ouvrières espagnoles, à nos chants révolutionnaires et surtout le chant en commun de « No satisfaction » résonnent encore dans ma mémoire, juste à côté de « Allumer le feu » de Johnny, chanter à l’ usine à un autre moment de ma vie.  Et le curé, « ami de mes parents » de nous lâcher un jour : «  Je ne suis pas d’accord avec la violence de votre mouvement, mais je lui suis quand même redevable de quelque chose, mon frère était CRS et bien con, vous l’avez fait démissionner et… réfléchir. » Au retour de ce premier voyage je dormis à Bordeaux chez mon oncle et ma tante, outre le souvenir d’avoir dormi près de 24 h d’affilé  (ça fatigue les discussions entre militants),  je me souviens de ma première lecture du « Que faire ? » de Lénine découvert dans les affaires de mon cousin absent. L’étape suivante du voyage était Pornichet, la petite maison de vacances de mes grands-parents paternels. Question de place je dormais dans le garage, et j’y restais une grande partie de la journée pour éviter la pêche à pied et dévorer « Ma » vie de Trotski, fantastique livre, mieux qu’un roman et quelle leçon d’histoire.

La réflexion que je me fais, après avoir revisité mes années de formation, c’est que la disparition à la fois de l’hégémonie culturelle de l’Église et en face, de celle du PCF dans le camp des travailleurs laisse sans doute aujourd’hui la jeunesse sans repère pour se construire, en négatif comme en positif, ses propres repères ? Nous ne retournerons pas en arrière, mais ces faits donnent l’ampleur du défi culturel et éducatif que doit relever la gauche à construire et la « force communiste » dont je rêve activement.