Un pays à reconstruire 06/05/2021
Contrairement aux apparences, si notre pays va si mal, ce n’est pas la faute au Coronavirus, mais à près de quarante ans de guerre du capital, de la France d’en haut contre les droits des gens « d’en bas ». En simplifiant, on peut dire que la période de 1945 à 1983 fut une période de progrès social et donc d’avancée des droits des dominé·e·s. Depuis 1983, nous vivons ce que l’économiste Jacques Généreux a appelé « La Grande Régression » (cf. son livre éponyme). Près de quarante années de défaites des travailleurs et plus encore des travailleuses, de remises en cause des « conquis » (et non des acquis) de la période précédente, pour toutes les catégories subalternes de la société. Bien-sûr, même si je ne parle dans ce billet que de la France, je sais bien que cela s’inscrit dans un rapport de force mondial favorable après la 2ème guerre mondiale et à un retournement de situation à la même échelle planétaire par la suite, à des rythmes divers. On peut d’autant plus parler de reconstruction en ce qui concerne la France, que celle-ci a su, grâce principalement à la CGT et au PCF, construire un modèle social original et efficace : Sécurité sociale, Services publics et nationalisations. Le patronat et la plupart de nos gouvernements n’ont eu de cesse depuis 1983 de s’en prendre à ces conquêtes. Les succès remportés par ces offensives contre « le programme du C.N.R », ils l’ont dit et répété, nous n’avons donc pas à le prouver, nous oblige à revoir nos objectifs, non pas à la baisse, mais à les clarifier. Il ne peut s’agir pour nous de continuer à parler de la défense de soi-disant acquis, mais de repartir à la conquête d’une Sécurité sociale du XXI° siècle. Il s’agit aussi de reconstruire ou inventer les services publics dont nous avons besoin, à commencer par celui de la Santé.
Mais il faut commencer par faire un état des lieux sans concession. La crise sanitaire a mis dramatiquement en lumière les dégâts d’une gestion de notre système de santé, par les coûts et non par les besoins, avec une vision de très court terme, sans aucune anticipation. La pandémie n’a fait que souligner la dégradation de nos hôpitaux, la misère de nos EPHAD et de nos hôpitaux psychiatriques. Les personnels de santé et leurs organisations, souvent avec le soutien des malades, alertaient depuis des années les responsables politiques et les instances gestionnaires. Ils ont multiplié les grèves et les actions diverses, sans jamais réussir à émouvoir les dirigeants. Les malades, les personnes âgées et dépendantes ont déjà payé un lourd tribu à cette politique d’austérité désastreuse. Ce n’est pas fini, nous ne mesurons pas encore tous les dégâts que vont entraîner les reports de soins et les énormes carences en matière de soins psychologiques et psychiatriques.
La pandémie sert aussi de prétexte à une marche accélérée vers le tout numérique à la Sécurité sociale, dans tous les Services publics, et à la suppression des contacts « humains », physiques… si on ne peut se toucher, au moins que l’on puisse se voir, se parler. Mais cette tendance était déjà à l’oeuvre depuis des années. La nouveauté est dans la généralisation du télétravail qui est aussi lourde de risques de rupture des liens humains au sein de l’entreprise et autour du temps et du lieu de travail. Les difficultés pour s’organiser, mais aussi tisser des liens personnels peuvent devenir considérables. Le travail à domicile ressemble à un retour aux formes moyenâgeuses d’activité. Si nous n’y prenons pas garde les dimensions délétères du confinement risquent de se prolonger et notre pays risque de ressembler de plus en plus à un archipel de familles et malheur aux isolé·e·s et aux femmes maltraitées.
La crise de société, que nous connaissons depuis des années déjà, est aussi une crise du sens que chacun·e peut donner à sa vie. Le coeur de cette crise se situe sur le lieu de travail, le renforcement de l’exploitation des salariés, qui concerne de plus en plus même les catégories les plus qualifiées et de plus en plus les cadres qui souffrent de leur positionnement entre l’enclume et le marteau. Le travail fait souffrir, la perte de l’emploi aussi, le chômeur se sent inutile, tout comme le/la retraité·e qui ne sait plus où est sa place, son rôle dans la société. Il faut oser se le dire et le redire, notre société est de moins en moins humaine, elle broie, elle oublie, elle maltraite, elle laisse sur le bord de la route. La ruse diabolique des idéologies dominantes est de diviser les dominé·e·s, si les jeunes n’ont pas leur dû, c’est la faute au vieux ; si l’homme blanc est au chômage, c’est la faute à l’homme de couleur qui ne s’est pas noyé dans la mer Méditerranée ; si celles et ceux que l’on dit être la classe moyenne payent trop d’impôts, c’est la faute à tous ces fainéants d’assisté·e·s qui s’empiffrent avec leur minima sociaux.
La société française est en voie de dislocation. Si le mal vient de loin, quatre années de pouvoir autoritaire et anti-populaire n’ont rien arrangé. Les petites phrases de Macron sur le pognon de dingue, sur les gens qui ne sont rien… sont tout sauf anecdotiques elles disent son mépris pour les gens de peu. C’est lui aussi qui a expliqué que les jeunes français doivent pourvoir rêver de devenir milliardaires. Qu’il vienne le dire à ceux qui doivent faire la queue au resto du coeur, notamment de nombreux étudiants. Ce qui m’a le plus choqué pendant ces mois de confinement, ce n’est pas même ce fait là. C’est qu’on n’ait même pas trouvé indécent de réclamer le RSA pour les 18-25 ans, même si le refus de Macron de leur accorder est lui totalement révoltant. Mais commencer dans la vie avec moins de 500 euros par mois, car personne ne touche les 560 euros qui ne sont qu’affichage puisqu’il faut ôter au minimum un forfait logement, c’est ça l’avenir que l’on réclame pour les jeunes dans notre pays : un minimum décent, c’est bien le minimum ! Mais pas à ce prix là, pas sous le seuil de pauvreté fixé à 50% du salaire médian soit aujourd’hui 885 euros.
Faire de la fin de la pauvreté un objectif
pour redonner couleurs humaines à notre pays
Le 3 décembre 1988 les députés de la France votèrent à l’unanimité l’instauration d’un RMI (Revenu Minimum d’Insertion). Loin d’être une révolution, c’était quand même la mise en place d’un filet de secours pour porter aide à ceux/celles passé·e·s à travers les mailles d’une protection sociale déjà abîmée. C’était donc déjà le constat d’une défaite par rapport à l’ambition des fondateurs de notre Sécurité sociale qui était de supprimer la pauvreté, de faire en sorte que plus personne ne soit obligée de vivre « au jour le jour ». Au moins dans son article premier cette loi affirmait «…le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Encore aurait-il fallu veiller à revaloriser ce minimum, à resserrer les mailles du filet et améliorer notre protection sociale. Au-lieu de cela nos gouvernants ont laissé filer le chômage, le travail à temps partiel et la baisse des salaires.
Et le 3 juin 2009 exit le RMI et voilà le RSA, en fait il y avait deux RSA : le RSA socle (une sorte de RMI au rabais) et le RSA qui vient en complément à un salaire insuffisant. Depuis ils ont inventé la PPE « Prime pour l’Emploi ». En fait le RSA a agi comme une véritable incitation à la baisse des salaires, à l’inverse le RMU ici défendu est conçu pour que les salarié·e·s puissent refuser les travaux sous payés.
Bien plus qu’un symbole, la disparition de l’article premier de la loi instaurant le RMI dans celle le remplaçant par le RSA, constitue une offensive contre le droit des pauvres puisqu’elle remplace un droit par ce qu’il faut bien appeler une « libéralité ». De plus elle officialise que le travail peut ne pas suffire à faire vivre et donc l’existence pérenne d’une nouvelle catégorie de travailleur·se·s, le/la « travailleur·se pauvre ».
La proposition de deux responsables de l’Observatoire d’un RMU (Revenu Minimum Unique) fixé à 50% du salaire mensuel et évoluant avec lui, permettrait de sortir durablement de la grande pauvreté 5 millions de personnes. Cette proposition a le soutien du CESE, d’ATD quart monde, de la FNARS qui regroupe toutes les associations qui agissent dans le domaine de la solidarité. Toutes les précisions en suivant le lien ci-dessous.
https://www.inegalites.fr/Notes-de-l-Observatoire-No-5-Pour-la-creation-d-un-revenu-minimum-unique
Que l’on se comprenne bien le Revenu Minimum Unique de Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités et Louis Maurin, son directeur, n’a rien à voir avec la proposition qui se veut révolutionnaire d’un Revenu Minimum Universel versé à tous (sic). Ses défenseurs vont chercher l’argent, entre autre, dans la remise en cause des dispositifs de solidarité existants et fixent son montant trop bas pour en faire un revenu décent pour ceux qui en sont privés.
Il faut une avancée concrète et immédiate. Pendant cette crise nous avons vu « valser » au-dessus de nos têtes des centaines de milliards, personne ne pourra nous convaincre que nous ne pouvons pas trouver 7 petits milliards pour en finir avec la grande pauvreté.
UN MINIMUM, C’EST LE MINIMUM : UN RMU ÉGAL A 50% DU SALAIRE MÉDIAN
ET BIEN-SÛR PAS DE REVENUS ISSUS DU TRAVAIL INFÉRIEURS AU MINIMUM
C ‘est à l’employeur de sortir le salarié de la misère, pas à l’État de le subventionner.
Redonner des couleurs à la devise républicaine :
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, HUMANITÉ.
En deux petits livres (petits par la taille, pas par l’importance), la féministe Réjane Sénac éclaire magnifiquement la nécessité de revisiter notre devise pour la faire revivre. Leurs titres disent l’essentiel.
Le premier « Les non frères au pays de l’égalité » démontre qu’il y a un vice dans les mots comme dans la marche concrète de notre histoire. Où sont passées nos soeurs ? La république a été excluante dès sa proclamation. Mais il n’y a pas que nos soeurs qui ont été exclu·e·s, il y a eu aussi les esclaves, les indigène colonisés, il y a toujours les racisés, les classes dangereuses… Réjane Sénac propose de remplacer fraternité par Adelphité, pour au moins réintégrer en droit nos soeurs avant qu’elles imposent l’égalité réelle. Je pense que Humanité pourrait remplir la même fonction tout en étant plus parlant sur l’ambition de nous affirmer tous semblables, plus familiers à tous·tes il peut porter la charge d’empathie les un·e·s pour les autres que portait le mot fraternité (pour les mecs…).
Le second livre « L’égalité sans condition » fait une démonstration éclatante de toutes les justifications dont on entoure l’égalité pour la refuser. Je trouve le mot « inconditionnel » plus fort que « sans condition ». L’Égalité est une valeur qui exige des droits inconditionnels pour tous·t·es. Il faut la parité partout, pas parce que ça améliorera les choses, pas pour le soi-disant apport des femmes, parce-que c’est comme ça, parce que c’est un dû. Le réfugié, l’immigré doit avoir les mêmes droits que chacun d’entre nous, pas parce-qu’il est « une chance pour notre pays », mais parce-que c’est un humain comme toi, comme moi…
Je disais « Un pays à reconstruire », alors pourquoi après le RMU parler de la devise républicaine, parce que je crois qu’un pays est fait de citoyens. Notre pays est malade du rejet de la politique. Qu’est-ce que la liberté, si la liberté fondamentale, la participation aux affaires du pays ne fait plus envie ? La France qui glisse à droite de la droite, où le racisme et le sexisme s’épanouissent, n’arrivera ni à faire rêver, ni à construire des lendemains meilleurs. Nous avons besoin de nous accrocher à nos principes, comme d’autres à leurs conneries, à leurs violences. Je n’ai pas voulu écrire ici une enième contribution au programme qui nous ferait gagner les élections, mais affirmer ce que je crois, défendre ma boussole politique. Il nous faudra tenir, et oser.
Merci !
Nos rédacteurs sont prévenus.