11 thèses philosophiques

11 thèses philosophiques

Par philosophie nous entendons la tentative ancestrale des humains pour penser et fonder leur monde. Si nous nous inscrivons pleinement dans la tradition marxiste ou marxienne, ce n’est qu’une fois qu’elle est purgée de tous ses éléments mécanistes et/ou prophétiques. Rien n’est inéluctable. Nous devons refonder cette tradition « sans proclamation de certitudes oraculaires… » H. Maler, sans certitude sur l’accomplissement de la société « plus humaine » que nous projetons. Nous rejetons tout aussi catégoriquement tout catastrophisme qui n’est qu’indifférence ou/et mépris vis-à-vis du facteur subjectif, de la capacité des humains à intervenir sur ce qui est à advenir.

1/ Plus que jamais, la tradition marxiste peut nous aider à tracer, puis construire les routes et les chemins(1) vers un(1) autre monde possible, un monde enfin « humain », plus humain. Il nous faut cependant la revisiter, la transformer, l’élargir notamment avec les apports de Darwin (2), N. Elias et H. Arendt.

2/ La question du « propre » de « l’homme », ou encore de « qu’est-ce qu’un humain ?» est la question première où il est question de l’essence de l’individu humain, de sa nature, de notre espèce certes, mais aussi de ce qui fonde notre commune « humanité », ce qui n’est pas la même dimension. Un humain est un animal membre d’une espèce qui a inventé des outils lui permettant de produire les moyens de son existence et par là son existence elle-même ainsi que le monde transformé dans lequel il vit. Pour approcher sa réalité de plus près  utilisons l’apport essentiel des trois penseurs cités ci-dessus (thèse 1).

3/ La vulgate sur le Darwinisme le présente comme le théoricien de la guerre pour la survie et donc de la victoire des plus forts. Cette présentation de sa théorie dissimule le fait que pour les espèces animales « supérieures » apparaît un nouvel élément dans le rapport de force : l’empathie/sympathie pour l’individu semblable au-delà du rapport filial, puis au-delà du clan, puis au-delà de la nation. La « multiplication » de cette capacité au sein de l’espèce humaine explique la position hégémonique qu’elle a conquise. Elle permet de comprendre le processus du développement de la conscience, elle permet de fonder sur une base matérialiste une morale universelle. L’histoire humaine, comme histoire de la conscience de l’individu humain , est devenue compréhensible à partir des avancées de la science biologique. Freud fera faire des pas supplémentaires à  la science de l’humain…

4/ C’est N.Elias, avec sa « Théorie des symboles » qui nous permet de franchir une étape nouvelle dans la compréhension des sociétés humaines, puis de l’extension de chacune d’elles jusqu’à la possibilité d’un monde en commun. Ce ne sont pas les simples outils de la fabrication matérielle qui sont la source de l’extraordinaire révolution ayant permis notre civilisation moderne. Bien plus vaste que la seule parole (les langues), c’est l’ensemble des outils symboliques, qui a permis la collaboration entre les humains, le processus de civilisation. La dimension symbolique est celle qui fonde notre humanité commune, la possibilité d’un monde, la possibilité d’un monde commun.

5/ Le XX° siècle nous a appris que le processus de civilisation n’a rien d’irréversible. Si pour mieux tenter de comprendre ce qui s’est passé nous disposons maintenant en français de l’ouvrage de N. Elias « Les allemands » qui étudie ce qui est arrivé à « son » pays, à la grande majorité de ses compatriotes. C’est une grande partie de l’oeuvre de H.Arendt qu’il nous faut nous approprier pour comprendre le phénomène majeur du du XX° siècle : le totalitarisme. Malgré les problèmes que pose ce concept, il nous faut bien l’accepter, sans jamais oublier que H. Arendt n’a jamais mis le signe égal entre nazisme et communisme/stalinisme et que par ailleurs elle a bien perçu les dimensions « inhumaines » de la société moderne fabriquant des humains « surnuméraires ». Le caractère forcément schématique de thèses générales ne nous permet pas d’indiquer ici tout ce que nous apporte Arendt pour comprendre les processus de recul de civilisation du XX° siècle et du XXI° (Rwanda, Daech…) et possiblement pour prévenir d’autres reculs. Nous pensons que sa découverte majeure et celle de la « banalité du mal » : il suffit de ne plus penser !…

Il ne faut jamais s’arrêter de penser ! Cet impératif catégorique vaut pour l’individu comme pour n’importe quel collectif humain… sinon les barrières constitutives de la civilisation sautent

6/ L’individu humain isolé n’existe pas, le propre de l’humain est, au-delà de de sa dépendance initiale, d’être un animal social,  cosmopolite, politique (3). Sa vie s’inscrit au sein d’une société. Le développement de ses facultés supérieures dépend de son « commerce » symbolique avec ses semblables et lui permet, l’oblige à intervenir dans l’organisation de sa cité. Grâce à l’apprentissage d’un ensemble de symboles préexistants, qu’il peut se relier à ses semblables proches, distants, vivants ou morts, même à venir, qu’il peut se projeter à l’autre bout du globe, ou dans l’immeuble d’en face. Tous les individus humains peuvent se comprendre, quelles que soient leur(s) langue(s). Leur monde peut s’étendre à la planète entière, voir plus. La dimension symbolique est la dimension propre aux seuls humains (4).

7/ La logique capitaliste n’abîme pas que notre planète comme écosystème, elle détruit tout aussi vite ce qui fait notre environnement symbolique, c’est à dire notre humanité même.

8/ La violence, au stade du progrès technique auquel nous sommes parvenus, ne peut accoucher que d’un recul du processus de civilisation. Ce constat implique  des choix cohérents en matière de stratégie pour renverser l’ordre injuste et violent établi.

Ce constat nous fixe comme tâche la plus urgente, la plus nécessaire pour l’humanité celle de combattre systématiquement, de manière acharnée pour la paix, pour le désarmement des États. La course folle au surarmement, avec sa dimension atomique, le commerce honteux des armes, la construction de murs entre les humains, le déclenchement de migrations massives de plus en plus importantes sont des facteurs majeurs dans la mise en danger de notre écosystème. Nous devons avoir l’ambition pour nos patries d’en faire des exemples, en choisissant le désarmement, le désarmement atomique en premier et en déclarant la paix à tous les peuples de la terre.

9/ L’efficacité de la lutte contre le réchauffement climatique, plus largement pour la préservation de notre éco système planétaire, nécessite une lutte « philosophique » intense. La mise en mouvement d’un grand nombre de scientifiques ne peut être suffisante, tant le fossé entre l’humain lambda et le développement actuel des sciences est grand. Notre salut ne peut venir que d’un développement nouveau des consciences humaines. La lutte que nous avons à mener implique une bataille sur le terrain des idées, des conceptions de l’existence et du monde.

10/ Le point de vue de l’ancien marxisme est « en dernière instance » critique de l’économie politique. Nous avons nous à faire, aussi et prioritairement, la critique, en action de tous les mécanismes d’emprise de la société capitaliste, sur les systèmes de symboles qui permettent la vie en société, mais aussi l’exercice d’une violence symbolique. Nous devons penser et rendre possible une hégémonie de la raison, de la morale, de la sympathie entre les humains.

11/ Il importe d’interpréter, chaque fois à nouveau, le monde. Ne serait-ce que pour refaire le chemin parcouru par nos prédécesseurs, mais surtout pour fonder à nouveau le monde des humains. Interprétation et transformation, théorie et pratique sont indissociables.

Ne jamais s’arrêter de penser !…

 

(1) Il y a plusieurs chemins pour construire  un autre monde, mais il y a bien qu’un seul monde. Il nous faut penser cette double réalité.
(2) Pour une présentation de l’oeuvre de Darwin  « L’effet Darwin » de P.Tort.
(3) Social et cosmopolite ce sont des faits, politique c’est une « construction ».
(4) Plagiant une réponse de Breton à Trotski,  peut-être devrions-nous ajouter « dans l’état actuel de nos connaissances ».