La seule question qui compte vraiment 26/9/2019


La seule question qui compte vraiment 27/9/2019

Jeanne Hersh dans « L’étonnement philosophique » écrit que la philosophie de Kant se développe autour de trois questions : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Vous à qui la « philosophie » fait peur, ne vous inquiétez pas je vais vite laisser tomber Kant. Mais vous auriez tort de ne pas revenir ou venir vers lui, même si vous avez retenu que c’est un idéaliste, Marx dixit, car il a beaucoup à dire à tous ceux qui veulent changer ce monde, celui des humains, cette société si injuste. invivable pour beaucoup, laide. Je vais vous parler de la seule question que j’ai retenue, comme essentielle et que je vous propose de vous poser sérieusement : POURQUOI SUIS-JE LÀ ?

En me posant cette question, je ne me demande ni Qui m’a mis là, ni Pourquoi on m’aurait mis là ? Mais seulement Qu’est-ce que je veux et peux faire là ? La première des questions m’importe peu, je suis sûr que mes ami·e·s « croyant·e·s » ne m’en voudront pas. La deuxième je la refuse parce-que je tiens à ma liberté. Ma question n’est pas non plus équivalente au Que dois-je faire ? de Kant qui nous ramènerait à des décisions prises « ailleurs » que dans notre petite tête. Il est un débat compliqué sur « l’impératif catégorique », la morale en somme, je l’aborderai, sans doute un autre jour. Pour l’instant ma question est plutôt Qu’est-ce que j’ai envie de, désire, souhaite faire ? et plus Qu’est-ce que je voudrais faire? que Qu’est-ce que je choisis de faire? Le conditionnel est une prise de distance nécessaire pour créer la possibilité d’un choix personnel.

La question contient une affirmation : Je suis là. C’est bien moi qui suis là… et pas ailleurs. « Notre liberté est toujours une liberté en situation ». De Kant nous sommes passés à Sartre. Se poser la question Pourquoi je suis là ? emporte une première décision, je prends la responsabilité du fait que je suis là et sans plus tarder elle impose une deuxième décision : dans quel sens je continue mon chemin ? même si je décide de d’abord regarder le plan, si je pèse ma décision. J’ai parlé plus haut de décision(s) prise(s) dans ma petite tête, mais dans ma tête, dans tout mon corps, mon histoire sont inscrits, ma langue, tous mes liens avec les autres humains et avec le monde dans lequel je vis. Opposer déterminisme et liberté n’a pour moi guère de sens, « déterminé » je le suis à 100 % et dans un double sens. Je suis tout entier constitué par une histoire biologique, psychologique, sociale. Je suis, aussi, bien décidé à assumer le fait que je suis qui je suis, que je suis là où je suis, mais je ne suis pas une pierre jetée au hasard, je peux à tout moment, ou presque, décider de changer de direction tant faire se peut.

Je pèse chacun de mes mots pour ne pas être renvoyé vers la théorie aujourd’hui indéfendable, les progrès des sciences obligent, du libre arbitre. J’ai écrit « ou presque », parce qu’il y a des moments, beaucoup de moments où nous sommes ballotés, comme des pierres, sans rien pouvoir y changer, pas besoin qu’une avalanche nous tombe dessus, l’avalanche du temps, des routines se charge bien de nous rouler. J’ai écrit « tant faire se peut », parce que le bonhomme du dessin, peut décider de faire demi-tour, de rentrer ou pas dans l’Institut de philosophie, il ne peut sans doute pas se rendre, au moins de suite, à l’autre bout de la terre dans un institut bien mieux documenté, encore que, via internet…

Pourquoi cette question plus qu’une autre ou que mille autres. Se poser des questions, c’est dans notre « nature » si j’ose, bien que ce soit bien du fait de notre culture. Mais celle là, le pourquoi ? est celle par laquelle nous pouvons tenter de nous instituer maître de notre vie, maître de notre lien aux autres humains proches ou lointains. Les réponses de chacun de nous seront différentes, mais se la poser nous lie, nous fait un monde commun. L’éluder nous éloigne. Je suis persuadé que de la qualité, de la sincérité de la manière dont nous nous posons cette question dépend la qualité de notre rapport au monde, donc un peu de l’avenir de l’humanité.

Dans un billet de mon blog, vous pourriez lire cet appel à se poser sérieusement la question Pourquoi suis-je là ? comme une variante encore plus théorique et abstraite que d’habitude de mes « prêches » pour l’engagement politique. C’est bien moins et bien plus que cela. C’est un petit travail personnel de réflexion que j’ai voulu partager avec ceux qui me font l’honneur de me suivre. C’est aussi un appel à restaurer l’enseignement de la philosophie, à l’instaurer beaucoup plus tôt dans le cursus des lycéens, voir des collégiens. C’est un soutien vibrant à toutes les initiatives prises pour faire vivre la philosophie : cafés philo, ateliers pour les écoliers, clubs…

Pour un monde meilleur il faudra s’occuper de politique, mais aussi de philo… il faudra que chacun·e se pose plus souvent et surtout plus sérieusement la question : Pourquoi suis-je là ? Il y a une réponse commune, qui recouvre toute la diversité des choix possibles : pour bien faire mon métier d’humain.