Ma bibliothèque
J’en ai rêvé, je l’ai construite. Jeune homme je rêvais d’avoir un jour une bibliothèque semblable à celle des hommes et femmes que j’admirais, des livres jusqu’au plafond, des piles sur le bureau, des marques pages partout. C’est fait, j’en ai pris conscience avec bonheur dans un moment de dépression. C’est ma psy qui me l’a révélé, dans le même mouvement elle me démontrait que le désir de connaissance est légitime, consubstantiel à notre humanité.
Plus je vieillis, plus je sais qu’aujourd’hui ma bibliothèque, c’est un peu, beaucoup moi. Elle est une part importante de ma mémoire. Elle n’est pas un aide mémoire, elle n’est même pas une mémoire vive à la manière de celle de mon ordinateur. Si je manipule souvent mes livres, c’est parce-qu’ils sont en liaison avec mes sens, la vue surtout, mais aussi le toucher, même l’odorat pour certains (les plus vieux, les neufs…), j’aime le bruit des pages quand je feuillette. Mais ils sont aussi incorporés d’une certaine manière dans la mémoire de mon cerveau, même celle inconsciente… Les manipuler sert aussi à restructurer ma mémoire, il faut sans cesse la réorganiser, la mettre à contribution. Même quelques livres absents, que j’ai donné, sont en quelque sorte encore présents sur les rayons. Mais les posséder, c’est mieux, ça évite les oublis.
J’ai commencé à accumuler les livres, dès que le désir de lire, de découvrir m’a emporté. C’était en 1965, mon père m’a acheté Terre des hommes de St-Exupery. J’ai voulu lire tout St-Exupery… j’ai même lu Citadelle (pas bien compris à cet âge, mais c’était beau). J’ai enchaîné avec d’autres. il y eut Nietzche, Valery, Eluard… Puis 1968 oblige : j’ai découvert Trotski (« Ma vie », quel merveilleux roman vrai) , Marx, H. Lefèvre, Sartre… Bientôt j’acquis les oeuvres complètes de Lénine, mais aussi presque toute la collection Poésie de Gallimard. Mais j’ai du vendre presque tous mes livres pour « vivre », au milieu des années 70.
Mes premières « aventures » passées, j’ai repris l’accumulation de livres. Au rayon poésie, c’est Guillevic qui a pris la part du lion, de lui, ou autour de lui j’ai presque tout. Hélas, un certain esprit de sérieux m’a fermé, à quelques exceptions près, l’univers des romans. Ce n’est qu’après cinquante ans que je me suis rattrapé, c’est peu dire ! Depuis que je suis en retraite, mais surtout après l’hospitalisation de 2016, je suis devenu un acquéreur fou. Je voulais croire à nouveau que j’avais « des » années à vivre, en même temps que pour une raison personnelle j’avais une peur panique de bientôt plus avoir de sous… en agissant de la sorte, c’est fait je n’ai plus de sous. Mais tant pis ou plutôt tant mieux, j’ai à la maison une bibliothèque perso qui ressemble un peu à une petite librairie ou je peux faire des découvertes neuves, ou plus anciennes. J’ai repris goût à la vie et je compte bien faire en sorte d’étudier encore quelques années.
Bien sûr vous me direz la mémoire livresque on peut aussi l’entretenir dans les bibliothèques publiques, ou en flânant dans les librairies. Mais ceux de mes lecteurs qui n’habitent pas Vesoul ne peuvent pas s’imaginer la difficulté à s’ouvrir l’esprit ici. Grâce soit rendu aux trois libraires et au travail qu’ils font, mais dans les rayons de la seule vraie librairie il n’y a que la production régionale (pleine de trésors, je parlerai de quelques uns), les deux autres ne font que l’occasion, dont l’un (mon précieux ami Jean-Pierre) ne touche ni à la littérature, ni aux sciences humaines… pour moi ça me limite. Je serais beaucoup plus sévère avec la bibliothèque. OK, il y a pas mal de mauvaises foi, c’est ma concession au fétichisme marchand et à la consommation effrénée… Je ne le ferais plus, d’ailleurs je peux plus.
J’ai souvent envie d’avoir l’occasion de la faire visiter, de m’ouvrir à d’autres de cette façon. Quitte à devoir m’en défaire, je voudrais bien que mes livres ne soient pas éparpillés, je préfèrerais les donner, à une bibliothèque militante par exemple. Cela m’arrivera bien un jour, ne serait-ce que pour déménager dans un appart plus petit (finance oblige), pire quand il me faudra rejoindre une maison de retraite. J’en profite pour exprimer mes dernières volontés, je ne veux ni urne, ni tombe, ni cérémonie, quand je serais plus là, je ne serais plus nul part. Par contre respectez mes livres, s’il vous plait, ne les vendez pas, prolongez leurs « vies » en les donnant là où ils pourront être utiles. Bon en est pas là, je vais donc vous demandez de me suivre pour une première visite rapide, en m’attardant sur les premiers rayons. Même pour ces premiers rayons, je ne ferais état que des titres les plus marquants, avec quelques indications sur ceux qui sont autour de ces titres.
Sur mon bureau, face à moi :
J’y ai mis mes livres de référence, ceux que je consulte le plus souvent possible.
Sur et de Marx –
« Convoiter l’impossible » Henri Maler
« Marx penseur du possible » Michel Vadéee
L’un dans le registre de la critique (contre les concessions de Marx à « l’inéluctable »), l’autre dans celui de l’exposé de la quintessence de l’oeuvre du grand théoricien de l’action humaine.
« Penser avec Marx aujourd’hui » (3 tome parus) Lucien Sève
Il réouvre en grand la lecture de Marx, tord le coup à l’idée de la « coupure épistémologique » entre le jeune Marx et celui de la maturité. Surtout, avec le Tome II, « L’homme ? », il reprend un chantier ouvert avec « Marxisme et théorie de la personnalité » (également sur mon bureau).
Autour de ces quatre titres, il fallait bien sûr les essentiels de Marx, dont le choix des textes philosophiques par L;Sève (traduit par idem.), quelques livres de Y. Quiniou, ceux ambitieux de J. Bidet (« L’ETAT monde » condense sa contribution), celui de J.J. Goblot.
Plus pour penser l’action humaine –
« Le principe espérance » (3 tomes) Ernst Bloch
Il n’y a pas d’action sans l’espérance, d’où l’importance du rêve, de l’utopie. Cette somme magnifique sur l’espérance humaine est vraiment indispensable pour qui veut fonder l’action humaine. Le dialogue avec cet auteur paru sous le magnifique titre « Rêve diurne, station debout et utopie concrète » est une belle présentation de son oeuvre. Bien-sûr à côté de ces livres il me fallait placer celui de N. Elias « L’utopie ».
Tous les livres de B. Friot creuse l’utopie concrète développée à la Libération avec la Sécurité Sociale et le statut de la fonction publique. Malgré l’avis défavorable de Friot je place à côté de lui la réflexion sur le Revenu de base « Le précariat » Guy Standing, « Vers une société du choix » MFRB. La solidarité avec les migrants à sa place par là « Frères migrants » Chamoiseau. Et enfin les « programmes » de Gauche, j’ai pas oublié le « Programme commun » et mon préféré demeure « L’humain d’abord » de 2012. Pour penser la société où nous vivons et celle que nous souhaitons, l’ensemble de J. Généreux « La dissociété », « l’autre société » « La grande régression » me semble très stimulant et plus. Tout cela serait incomplet sans le 25 avril cf. « Révolution Contre révolution au Portugal » Arno Munster.
Dans la série, il n’y a pas que la tradition marxiste :
J-P. Sartre, H. Arendt, N.Elias… et Darwin
C’est Sartre qui m’a initié au Marxisme et aidé à penser le monde. Alors ici j’ai mis « Critique de la raison dialectique » les 2 tomes, même si je n’ai jamais vraiment lu le 2° et que pour le 1° je n’ai travaillé que le livre 1. Surtout en introduction il y a Question de Méthode, qui avec le livre 1 a fondé ma version du Marxisme. Ce livre, vendu dans les années 70, je l’ai retrouvé que dans les années 2000, mais en le relisant je me suis aperçu à quel point je l’avais incorporé, à quel point il était référence pour moi. « L‘Etre et le néant » lui ne m’a jamais quitté, mais je n’ai jamais rencontré personne qui en est fait un livre de son quotidien. Pourtant je vous jure que si on passe par-dessus son aspect rebutant, le vocabulaire trop technique, il parle de nous. Quoiqu’il en est dit lui-même Paul Ricoeur est un philosophe très proche de la réflexion de Sartre (je n’ai jamais retrouvé qui dans « Les chemins de la connaissance » sur France Culture l’affirmait, je le pense aussi, c’est pour cela que j’ai placé là « Soi-même comme un autre » et le recueil « Anthropologie philosophique ».
L’oeuvre de H. Arendt est tout aussi importante pour nous que celle de Marx. Je ne l’ai découverte qu’après 2004, mais là je ne l’ai plus lâché, j’ai presque tout et plus encore presque tout lu. Bien-sûr il faut avoir sous les yeux, et la main, sa somme sur le totalitarisme. Le plus important pour penser l’action humaine, c’est justement « Condition de l’humain moderne ». J’ai salement galérré pour le comprendre, pas assez de culture Gréco-romaine, malgré l’aide de la préface de Ricoeur. Mais ça valait le coup, il est maintenant ma référence préférée. Je suis pas sûr d’avoir compris, retenu « La crise de la culture », il faut que je le relise. Je suis beaucoup plus à l’aise avec « La vie de l’esprit ». Si vous connaissez un apprenti philosophe, jeune étudiant ou attardé comme moi, acheter lui son « Journal de pensée », çà aide à acquérir de la méthode.
N. Elias je l’ai découvert encore plus tard, mais j’ai une très bonne excuse, l’essentiel de son oeuvre n’a été traduit en français que ces dernières années. Bien-sûr il y avait « La civilisation des moeurs », mais c’est pas simple à lire et très professionnel. Il y a un fantastique « Nobert Elias par lui-même ». Mais l’Essentiel est dans « La dynamique sociale de la conscience » « au-delà de Freud » et « Les allemands ». Enfin « La théorie des symboles » est la présentation de sa découverte. Il me plait de mettre à côté du livre théorique le plus important du XX° siècle, « L’espèce fabulatrice » de Nancy Huston qui parle du même sujet : notre humanité, en y mettant un peu d’humour.
Darwin, c’est grâce à Yvon Quiniou « Etude matérialiste sur la morale » 2002 que j’ai découvert « L’effet Darwin » de P. Tort et « La filiation de l’homme » de Darwin. Ce furent des découvertes essentielles à ma réflexion.
Dans cette partie de ma bibliothèque, devant moi encore, je vois l’inquiétant « Une enquête philosophique » P. Kerr, deux petits livres de Badiou « La vraie vie » et « Eloge de l’Amour »… tout un programme. Encore de Huston « Ames et corps » « Reflets dans un oeil d’homme » « Carnets de l’incarnation » dérangeants, terriblement instructifs, à lire absolument. Heureusement, il y a aussi le livre à double face « Soit belle/Sois fort » pour ouvrir la voie à un programme d’éducation.
Et je viens de là, merci à Edwy plenel, d’avoir commis un très attachant et très juste livre sur sa jeunesse Trotskiste : « Secrets de jeunesse ».
A ma droite
Mais, sur mon bureau, il me reste à vous présenter un rayon composé de mes livres sur
la vieillesse, ceux que j’ai découverts lors de ces cinq dernières années, dont l’écho se fait entendre dans le premier chapitre de ce livre. Les deux pionnières sur ce sujet d’abord S. de Beauvoir « La vieillesse » 1970 et B. Friedan « La révolte du 3° age » (« The fountain of âge » titre anglais bien plus beau et parlant) 1993, ont encore eu droit à une place au milieu devant moi, aux côtés de leurs ouvrages sur la cause des femmes « Le deuxième sexe » 1949 et « La femme mystifiée » 1963. Ensuite viennent « Le temps ne fait rien à l’affaire » J. Pélissier, « La tyrannie » du bien vieillir » M. Billé, D. Martz.
« Les retraités : oubliés et inutiles ? »B. Ennuyer, D. Denis , j’ai de gros désaccords avec les auteurs, mais leur mérite est grand d’avoir soulevé cette question depuis leur jeunesse et leur formation de polytechniciens, « Vivre ensemble jeunes et vieux » s. direction de C. Bergeret-Amselek et de cet auteur le magnifique « La vie à l’épreuve du temps », « L’enjeu des retraites » B. Friot et d’autres… Mails il faut encore cité les romans indispensable pour appréhender la vie des vieilles personnes. Honneur à la jeune auteure franc-comtoise Crystelle Ravey pour « Amours en fugue » qui fait se rencontrer deux fugueuses, une adolescente et une vieille dame, un chef-d’oeuvre ! Autres chef-d’oeuvres, dont quelques uns sont absents je les ai offerts, « La femme en bleue » « La courte-échelle » « Alice aux pays des merveilles », « La femme coquelicot » de N.Chatelet, aussi « Le passé infini » F. Groult », « La touche étoile » B. Groult… mais là on approche la mort alors il faut que je vous présente à nouveau un livre de N. Elias « La solitude des mourants » et aussi de S. de Beauvoir « Tous les hommes sont mortels » ce livre qui nous démontre qu’il vaut mieux être mortel, c’est cela qui donne son importance et son sel à la vie.
Toujours à ma droite, mais sur un autre meuble, il y a mes dictionnaires, les classiques. Mais aussi « Nos ancêtre les arabes » J.P. Pruvost pour tout l’apport arabe à notre langue, le « Dictionnaire de la psychanalyse » E. Roudinesco, M. Plon, le « Lexique Usuel Critique de l’Idéelogie Dominante Economique Sociale » indispensable pour tous les militants pour rester L.U.C.I.D.E.S., aussi le « LQR » de E. Hazan, « Le pouvoir des mots » J.Boutet… … …
Pour la suite de la visite, merci à mes premiers lecteurs de patienter jusqu’à l’édition du 2° chapitre prévu au début du mois d’avril 2018.
Merci !
Nos rédacteurs sont prévenus.