De ma vie

La vie commence  – 1
Révolutionnaire, sans révolution

à Dounia
ma fille

 « Le nouveau a toujours contre lui les chances écrasantes des lois statistiques et de leur probabilité qui, pratiquement dans les circonstances ordinaires, équivaut à une certitude : le nouveau apparaît donc toujours comme un miracle. Le fait que l’humain soit capable d’action signifie que de sa part on peut s’attendre à l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est profondément improbable. Et cela à son tour n’est possible que parce que chaque homme est unique »
                 Hannah Arendt in « La condition de l’humain moderne »

Introduction

Je ne vis pas n’importe quelle vie, à n’importe quelle époque, j’ai eu 17 ans en 1968 !   Je suis né pendant le baby-boom, j’ai pris ma retraite pendant le papy-boom. Le cadre est posé : la « révolution » politique a aimanté ma vie, la révolution démographique en a donné le contexte.

Ce qui me reste de 1968 c’est cette certitude qu’un monde nouveau, une société plus humaine est possible. Je me souviens de ce sentiment incomparable, l’oreille collée à mon transistor : « Enfin ! c’est chez nous, en France, tout près de chez moi que ça se passe. » Et le lendemain, j’étais devant mon lycée pour le mettre en grève. Par la suite, nous avons entraîné dans l’action même les établissements catholiques. Dès le 6 mai j’étais dans la rue et le soir je le revendiquais à la maison devant mon père, qui n’a pas aimé du tout. Qu’est-ce qui avait précédé ces actes, ces choix ? J’en parle plus loin. Qu’est-ce qui m’amènera à refuser l’armée et à m’engager dans une organisation révolutionnaire ? C’est en grande partie l’objet de ce texte. Je veux rester fidèle à mes choix de jeunesse et donc les comprendre pour les prolonger, pour les donner à comprendre à vous mes lecteurs, mes frères et soeurs, mes enfants, mes petits-enfants, mes semblables. Je n’ai pas une vision étriquée de la famille humaine. Je n’écrirai donc pas « homme » (même dans les citations), quand, humain s’entend mieux comme individu de l’espèce humaine sans distinction de sexe, sans distinction du tout. Depuis que j’ai lu Réjane Sénac, et quelques autres féministes, je ne veux plus du terme « fraternité » qui dès son origine républicaine excluait les « non frères », à commencer par nos soeurs. Je milite pour qu’on lui substitue « humanité », pour affirmer tout à la fois notre commune appartenance et notre projet.  

Depuis 1968, le temps a passé, je suis devenu vieux. Ne me demandez pas quand, cela n’a pas été facile pour moi de me le dire, de l’accepter, puis de m’en revendiquer. Il va me falloir approcher cela de plus près pour expliciter pourquoi la « révolution démographique » est escamotée, travestie par la société actuelle. Escamotée même par nos organisations syndicales et politiques. Il ne suffit pas d’en parler, il faut en comprendre la portée révolutionnaire (eh !) pour notre humanité. De quoi s’agit-il ? De l’augmentation de la durée de vie pour tous de 20 à 30 années (dans les pays riches, dominants). Voilà un renfort considérable pour changer notre rapport au travail, à l’étude, à l’art. Nous n’en sommes qu’au début … si nous ne laissons pas se faire une contre-révolution déjà à l’oeuvre. Ce sera l’objet du deuxième volet de mon autobiographie.

De ma jeunesse, à ma vieillesse en passant par le temps du travail contraint, j’ai appris beaucoup. J’apprends encore de mon passé, de mon présent, comme de mon avenir possible. Oui nous pouvons apprendre de la vie, avec un peu d’attention, contrairement à ce que répète une chanson célèbre des années 80, et bien des doctes personnes, dont nous pouvons nous demander pourquoi elles causent. J’ai vu advenir du nouveau, j’ai vu l’ancien nous faire reculer. J’ai foi, les yeux ouverts, en chaque humain, tant qu’il n’est pas détruit, et donc en l’humanité possible, celle dont Jaurès écrivait qu’ « elle n’existe pas encore, ou à peine ».